La dernière partie de la Bible chrétienne s'appelle le Nouveau Testament. Ces vingt-sept écrits sont d'abord cinq grands récits fondateurs, puis viennent, sous forme de correspondances, des exposés de la doctrine, suivis d'exhortations pratiques sur l'art de vivre avec sagesse. Un dernier livre, un peu hors-série, offre un ensemble de moments visionnaires qui révèlent à la fois ce qui arrivera à la fin de l'histoire et ce qui dès maintenant, dans le ciel, se vit et se célèbre.
Mais où est « la méditation » en tout cela ? Le mot grec, bien connu dans le Premier Testament - meletè - manque dans toute cette petite bibliothèque néotestamentaire ! Même le verbe meletân (« prendre soin de », « méditer ») n'y apparaît qu'une seule fois, tandis qu'un composé promeletân, (praemeditari en latin) se trouve une seule fois sous la plume de Luc quand Jésus encourage les siens, lors de son dernier discours sur la fin de toute chose :
« Mettez-vous en tête que vous n'avez pas à préparer (promeletân) votre défense (apologia). Car, moi, je vous donnerai un langage et une sagesse que ne pourra contrarier ni contredire aucun de ceux qui seront contre vous »
Lc 21,14s
L'unique passage qui rejoint quelque peu ce que nous recherchons, avec le seul cas du verbe meletân, se trouve dans une lettre deutéro-paulinienne :
« En attendant ma venue, consacre-toi à la lecture de l'Écriture.
à l'exhortation, à l'enseignement.
Ne néglige pas le don de la grâce qui est en toi.
qui te fut conféré par une intervention prophétique.
accompagnée de l'imposition des mains par le collège des anciens.
Voilà ce que tu dois prendre à cœur (tauta meletân).
Voilà en quoi il te faut persévérer.
Ainsi tes progrès seront manifestes aux yeux de tous.
Veille sur toi-même et sur ton enseignement.
Mets-y de la persévérance.
C'est bien en agissant ainsi
que tu sauveras et toi-même et ceux qui t'écoutent »
1 Tm 4,13-16
Notons que l'usage du verbe contient ici la nuance originelle de mot : « Prendre soin de, veiller sur, prendre à cœur » et non pas « méditer » comme tel.
Si la parole manque, cela ne veut pas encore dire que manque la réalité de méditer. Il y a le bel exemple, cité spontanément par tous : « Et Marie conservait toutes ces choses/paroles/événements en son cœur » (Lc 2,19.51), comme faisait Jacob après avoir entendu les rêves racontés par Joseph, ou encore Daniel, écrasé par les visions nocturnes : « Ici prend fin le récit. Pour moi Daniel, mes réflexions me tourmentèrent beaucoup; mes couleurs en furent altérées, et je gardai la chose dans mon cœur » (Dn 7,28).
Il y a en outre le célèbre Cantique de Marie, son Magnificat, qui se présente comme un résumé des Psaumes, des Prophètes et du Cantique de la mère de Samuel, Anne. Marie, en chantant ainsi, est la mémoire de tout son peuple. Elle rappelle et actualise l'agir divin dans sa vie comme dans toute l'histoire. Tout dans ce psaume nouveau parle seulement de Dieu.
De son époux Joseph on pourrait également développer une réflexion sur la qualité de son silence. Il ne dit rien, à aucun moment, dans aucun des quatre évangiles, mais il écoute et passe directement à l'acte. Il répond en agissant. Mais c'est bien lui, selon Matthieu, qui donne à l'enfant son nom, tel que l'Ange le lui avait révélé « Tu lui donneras le nom de ‘Jésus', car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (1,21). Par son silence et par la concentration unique sur le seul nom du Sauveur, Joseph annonce la vie des moines hésychastes qui s'appliqueront à méditer sans cesse le Nom salvifique, unissant leur respiration à la prononciation du nom du Christ, comme l'enseigneront les moines du Sinaï au VIIe et VIIIe siècle.
Par ailleurs tant de passages des Épîtres et même de l'Évangile supposent que leurs auteurs avaient pris le temps de bien mémoriser et de réfléchir sur les saintes Écritures du Premier Testament !
Paul n'a pas traversé le haut-plateau de la Turquie actuelle en portant sur ses épaules les rouleaux de la Torah, des Prophètes et des Écrits de sagesse. Il cite tout de mémoire à partir d'une étude appliquée de la traduction grecque - la dite Septante. L'exemple le plus remarquable de sa mémoire créatrice se trouve en Romains 9 à 11. Il pose deux questions théologiques énormes : la Parole de Dieu aurait-elle failli ? Et Dieu aurait-il abandonné son peuple ? Pour y répondre il cite bien une trentaine de passages depuis la Genèse jusqu'au dernier des petits Prophètes : Malachie ! Moïse, Élie, Isaïe viennent témoigner de ce que Dieu pense, désire, entend faire à l'heure actuelle comme à la fin des temps. On assiste à une réflexion passionnée, nourrie par une méditation de toute une vie sur la Parole divine contenue dans la Loi et les Prophètes.
Rappelons-nous encore l'Épître aux Hébreux ou L'Apocalypse de Jean, ce livre caléidoscopique. Leurs deux auteurs ont une connaissance éblouissante des Écritures. Avec Paul, ces écrivains connaissent également avec profondeur des traditions secondes, attestées dans le Targum ou les Midrashim. « Il est monté », à savoir comme Moïse, « et il aussi descendu », à savoir comme Jonas. Il a rempli tout l'espace, tant pour le peuple élu, comme a fait Moïse, que pour toutes les nations païennes, comme il est dit de Jonas, envoyé à Ninive !
Considérons encore tous les passages de la vie de Jésus qu'un évangéliste comme Matthieu réussit à fonder dans quelque oracle d'un prophète, en enrichissant son récit de multiples citations introduites par la formule stable : « Comme il est écrit dans le livre de... » Ceci suppose une école de lecture et de relecture, parfois même avec une grande liberté associative et une force provoquante - comme dans le cas d'Abraham avec ses deux femmes, l'une étant esclave, l'autre femme libre, et ainsi en est-il pour leurs fils, en Galates 4 !... Tout cela présuppose la pratique d'une méditation assidue de la Parole.
On découvre dans nos textes une vraie chaîne : il s'agit de lire, de mémoriser, de rappeler, de réfléchir, et de relier avec une créativité rabbinique qui ose, à l'occasion, aller contre le sens obvie d'un texte reçu. Ainsi en Matthieu 2 nous lisons : « Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es absolument pas (oudamôs) la plus petite (elachistè) des cités en Juda car de toi sortira un chef, qui fera paître mon peuple Israël » (Mt 2,6). L'évangéliste n'hésite pas à modifier la lettre du texte de Michée car maintenant que l'enfant messianique est né, c'est fini de répéter que « tu es la plus petite des cités en Juda » ! Il ose contredire à la lettre le passage de Michée 5,1.3 !
De façon plus générale, il reste ce que Luc indique comme attitude de cœur chez Marie : même sans comprendre ce qui lui arrive ou ce que Syméon ou le jeune Jésus lui disent, elle « conserve le tout dans son cœur ». Tout lecteur ou lectrice qui a entrepris de lire et d'écouter le récit évangélique lucanien se voit invité(e), à travers la figure de Marie, de bien enregistrer les événements du début de l'histoire de Jésus pour comprendre pas à pas ce qui adviendra par la suite de cet Enfant aux traits messianiques.
fr. Benoît Standaert osb.
(c) Clerlande 2022.
Qui veut poursuivre la réflexion sur la méditation, peut consulter l'interview de Maciej Bielawski en Italien, janvier 2022 : Une série de questions essentielles.