Les premiers pas de Clerlande

Temps des découvertes.

Gravir la colline sous une voute de feuillage bien fourni pour découvrir soudain une clairière dans un bois de pins, un sart comme on dit ici dans la région. Bâtiments rose-briques, discrets sous leurs toitures noires amplement protectrices, le tout épousant les courbes du terrain. L’ensemble, tout neuf, n’est même pas entièrement achevé: certaines portes manquent encore de peinture ou ne sont tout simplement pas encore là. Manquent aussi des meubles dans les chambres. Partout l’odeur légèrement acre typique des chantiers de construction.

Il manque surtout la vie, un souffle de vie… Répartition des chambres. Repérage du lieu de la prière, de la cuisine, du réfectoire, de la buanderie… et même, la discision, du moins pour un temps, de la polyvalence de quelques locaux, comme pour l’eucharistie dominicale célébrée dans la salle de communauté.

« Au commencement, il y eut un soir ; il y eut eu un matin, ce fut le premier jour ! » Puis vint le second, jour qui commença par la louange du Seigneur dès le matin et suivie du premier petit déjeuner fort détendu. Journée de mise en place de l’horaire, et la distribution des petites charges ménagères. Ces jours-là vous, les visiteurs, vous avez été fort nombreux à nous surprendre dans notre nouvelle nouveauté et dans nos nouveaux bâtiments. Ce furent l’occasion d’une nouvelle forme d’ouverture et d’accueil qui a laissé des traces concrètes jusqu’à aujourd’hui.

Les frères de Saint-André en mission au Katanga avaient la faculté d’attendre 4 ans pour choisir de fixer leur stabilité, et donc leur appartenance à Clerlande, ou de rester moine de Saint-André. D’où nombreuses visites de frères, nombreuses explications et mises au point. Ces différents passages de frères venant de loin ont très vite marqué l’esprit missionnaire hérité de Saint-André et auquel Clerlande comptait bien rester fidèle.

Temps des redécouvertes.

L’euphorie des débuts et les douceurs de l’été étant passées, très vite une impression de banalisation, une sensation de vide, se profila à l’horizon. Or la nature a horreur du vide. Vint alors le temps de la redécouverte, de la reconstruction. Reconstruire dans un autre cadre, un cadre pus léger, plus dépouillé, plus proche des temps actuels. L’habit ne fait pas le moine. Il faut plus.

C’est ainsi que, dès avant leur arrivée à Clerlande, les frères, y compris le doyen de 81 ans, vêtu d’un pantalon noir et d’un pull col roulé, avaient tous déposé tuniques et scapulaires. « Pour les habits à donner aux frères, on aura égard aux conditions et au climat des lieux qu’ils habiteront. » (Règle de S.Benoît ch.55) Dans sa Règle, Benoît n’impose rien mais suppose que tout geste, toute attitude, toute prière, tout rite, tant domestique que liturgique soit toujours habité ou animé par une volonté d’exprimer un sentiment de foi, de solidarité ; un sentiment de respect des personnes et un respect des choses qui sont toutes « comme les vases sacrés de l’autel » (R.B.31). Rien de mécanique.

C’est ainsi que, pour célébrer dignement la liturgie, pour exprimer ce respect au cours de l’office, la coule blanche était rapidement devenue indispensable. « Quand 2 ou 3 frères se réunissent en mon nom, je suis avec eux ». Dans ce cas...

Vivre en communauté de 15 frères dans un bâtiment bien calibré ne s’improvise pas. S’il faut s’adapter au nouveau cadre de vie, il y a surtout à trouver une nouvelle forme de relation entre frères. Cette nouvelle forme de vivre ensemble s’apprend progressivement avec l’expérience au cours du temps.

Un minimum de silence et de recueillement s’est imposé très tôt: s’il n’y a plus de clôture, qu’il y ait au moins des endroits, des heures et même certains repas, y compris ceux qui sont pris avec nos hôtes, où silence et retenue sont de mise afin de protéger le bien commun et la paix intérieure. Silence des oreilles et silence des yeux pour que rien ne vienne troubler les cœurs.

Les soirées se prolongeant à l’approche de l’hiver, elles demandaient alors une certaine structure et surtout un point final clair, à heure fixe et significatif. L’office des Complies, suivi du grand silence jusqu’au lendemain 9h, retrouvait sa pace.

Le dimanche, lui aussi, demandait plus, il se sentait mal à l’aise dans cette sorte de banalisation. Un besoin de souligner et de rendre son importance : jour de la Résurrection du Seigneur. D’où l’office des Vigiles du samedi soir, de l’office renouvelé du dimanche matin et d’un caractère festif de l’ensemble de la journée. Les cloches ont mis plus de temps à se joindre à la fête.

La vie de tous les jours, elle aussi, demandait un certain relief. Ce furent alors les réunions qui revinrent à l’aide, mais dans d’un style plus familial et décontracté possible uniquement dans le cadre d’une communauté plus restreinte. Le dimanche soir, réunion pour faire passer les informations et nouvelles des semaines passée et à venir, et le jeudi soir pour écouter un bref enseignement par le Prieur. À la fin du mois d’aôut, découverte de la retraite annuelle comme étant une semaine favorable pour prendre le temps de nous écouter et pour resserrer les liens fraternels.

Pour des raisons extérieures à notre volonté, les éditions liturgiques, missels et revues, ont subies leur crise et ont demandé, là aussi, de penser à leur nouvel avenir.

La « Croix de fondation ».

Dans la chapelle de Clerlande, il n’y a pas de Croix de Fondation qui affirme la présence de Clerlande en terre de Brabant-Wallon. À l’époque de la fondation, les turbulences du temps n’ont pas permis le rite de la remise de cette croix. C’est la croix plantée sur la tombe du Père Daniel Scheyven au cimetière communal d’Ottignies-Centre qui en fait office. Croix, proclamation de miséricorde, de foi et d’espérance.

Père Daniel Scheyven
Père Daniel Scheyven

À partir du 2 février 1972, le Père Daniel est en effet le premier défunt de la jeune communauté. Bruxellois, né en janvier 1909, il a été ordonné prêtre séculier du diocèse de Malines le 26 février 1933 ; professeur au collège Saint-Louis à Bruxelles ; pendant les années de guerre, il est précepteur des enfants royaux Baudouin et Albert jusqu’à leur captivité. Il disparaît ensuite dans le maquis ardennais pour resurgir comme aumônier de la brigade du général Piron dont il se fait un ami. Il fait profession monastique à l’abbaye de Saint-André, le 15 janvier 1949 ; rejoint les missions au Katanga. Revenu à Saint-André en 1962, il accompagne les frères à Ottignies.

Le 6 janvier 1972, jour de l’Épiphanie et fête des Rois, il a encore eu la grande joie de recevoir ici la visite privée et amicale de leur Majesté Baudouin et Fabiola. Sa photo dans le couloir menant à la chapelle a été prise par le Roi lui-même. Remarquez les yeux et le sourire : ils sont le reflet de sa bonté et de sa distinction. Le Père Daniel Scheyven a été une figure marquante pendant les jours de nos premiers pas à Ottignies.

Article rédigé par Frère Yves Leclef, 2022.