La méditation dans la tradition prophétique

Les textes prophétiques se servent plus d'une fois du verbe « méditer » mais en général il s'agit de dénoncer des ennemis qui méditent un mal, une action violente, criminelle. Même le Dieu des prophètes, lit-on ici ou là, « médite des choses terribles » pour punir l'infidélité de son peuple. Dans une des concordances consultées j'ai trouvé pour les prophètes d'Isaïe à Malachie quatorze fois le verbe « méditer », mais pour aucun des cas l'acte visé était un bienfait : que ce soit Dieu ou les impies, tous « méditaient » des choses effrayantes contre les uns ou les autres !

Les prophètes sont des « hommes de l'Esprit » et « des hommes de la Parole », comme ils se définissent eux-mêmes. Toutefois ils connaissent aussi le silence, la pratique de se retirer dans la solitude, vivant en marge de la foule, allant « au désert où Dieu parle au cœur », ainsi que le formule le prophète Osée (2,16). Considérons le prophète Élie : il commence son ministère au torrent du Kérit, au-delà du Jourdain. Puis on le trouve à Sarepta, tout à fait dans le Nord, à la frontière avec Aram. Au sommet de la crise on le voit partir vers le Sud, au-delà Béershéva qui est la limite du royaume de Juda. Il poursuit sa route dans le désert, quarante jours et quarante nuits, pour rejoindre la montagne où Moïse a commencé la grande tradition au nom de YHWH. Élie est à bout, déçu, désirant plus la mort que la vie. Dans la montagne de l'Horeb il retrouve, dit le texte, « la grotte », celle de Moïse ! Il s'y installe et voilà que Dieu passe. Se succèdent de grandes manifestations cosmiques : vents terribles qui fracassent les rochers, tremblement de terre, feu foudroyant. Mais, est-il dit, « Dieu n'est pas dans le vent », « ni dans le tremblement de terre », « ni dans le feu ». Élie doit comme abandonner sa première religiosité, faite d'éclats comme des sécheresses destructrices, du feu ou des pluies qui ravagent tout... Arrive alors « la voix d'un silence pénétrant », qol demamah daqqah Voix d'un fin silence », selon la traduction du philosophe Levinas). Il s'agit d'un paradoxe, d'un oxymore : « voix silencieuse » qui pénètre tout et établit un tout nouveau contact avec le Dieu vivant. Tout se conclura par une nouvelle mission et une parole décisive et finale pour tout le parcours prophétique de l'homme de Dieu. Il devra oindre un roi à Aram et un nouveau chef en Israël puis Élisée qui sera son successeur. Le prophète, homme de la Parole, renaît dans le creuset d'un remarquable silence. Il reçoit aussi des yeux nouveaux pour voir toute la réalité obnubilée par son zèle religieux : « Il y en a encore sept mille qui n'ont pas plié leurs genoux devant Baal ! » Il répétait : « Je suis resté seul, comme l'unique qui est encore rempli du zèle jaloux pour ton Nom ! »

Ce n'est pas un cas exceptionnel chez les prophètes où l'on insiste sur l'importance du silence. Même dans les Douze Petits Prophètes on entend plus d'une fois un appel à observer un grand silence pour retrouver un rapport authentique au Dieu vivant.

Le prophète Habacuc décrit sa façon d'attendre pour que lui arrive une parole de la part du Seigneur. Il avait crié, c'est ainsi que s'ouvre son livret :

« Jusques à quand crierai-je, ô Seigneur, sans que tu ne m'écoutes ?
Pourquoi toute cette violence sans fin... ?
»

Ensuite il se dispose convenablement pour recevoir un réponse:

« Je vais me tenir à mon poste de garde.
je vais rester debout sur mon rempart ;
je guetterai pour voir ce qu'il me dira.
ce qu'il va répondre à ma doléance
».

Voilà toute sa préparation, sa manière de méditer pour qu'advienne une parole de Dieu. Puis il poursuit :

« Alors le Seigneur me répondit et dit :
‘Écris la vision, grave-la sur les tablettes
pour qu'on la lise facilement'
(Hab 2,1-2).

Et l'oracle s'achève sur ces paroles : « Le Seigneur est dans son temple sain ! Silence devant lui, terre entière ! » (2,20 ; Cf. Sophonie 1,7 : « Silence devant la présence du Seigneur Dieu ! » car voici qu'arrive son Jour terrible ; également en 2,17 et chez Amos 8,3).

Il y aurait à développer ici une analyse des grands silences religieux dans la Bible. Je vous indique seulement un silence assez exceptionnel, très commenté dans la tradition rabbinique. Il s'agit du silence d'Aaron.

Lors de la toute première liturgie dans le désert, on raconte que deux des fils d'Aaron se sont servi d'encensoirs et voilà que le feu en vient à les brûler et ils trouvent la mort... Aaron perd en un instant la moitié de sa descendance. Il avait eu quatre fils. Moïse se lève et commente l'événement. Puis on lit : « Aaron se tût » (Lv 10,3). Il ne dit rien, ne répond pas à son plus jeune frère Moïse, il n'accuse pas Dieu, ne jette pas d'accusation sur ses fils, ne s'accuse pas lui-même. Il réussit à demeurer dans la grandeur d'un pur silence... Il garde ainsi contact avec tout et avec tous, avec les vivants et les morts, et surtout avec Dieu. Grandeur de l'homme sacerdotal, pétri d'une culture de la distance révérencielle où si souvent le silence l'emporte sur tout discours.


fr. Benoît Standaert osb.
(c) Clerlande 2022.


Qui veut poursuivre la réflexion sur la méditation, peut consulter l'interview de Maciej Bielawski en Italien, janvier 2022 : Une série de questions essentielles.