La méditation dans la Bible

Cette deuxième contribution sur la méditation est la traduction d'une conférence donnée à Rome en mai 2022, et se concentre uniquement ou pour le moins principalement sur « la méditation dans la Bible ».

La conférence s’inscrivait dans une journée entière, le 7 mai 2022, consacrée à la méditation et la contemplation dans la tradition bouddhiste, chrétienne et hindouiste. C’est la Conférence épiscopale italienne (CEI) qui organisait le tout au Centro Congressi Aurelia (via Aurelia 796, Rome). Les Actes de ce Séminaire interreligieux seront publiés prochainement.

La recherche n'était pas si facile, car le mot - substantif ou verbe - peut manquer alors que la pratique est bel et bien repérable un peu partout dans le texte. La belle surprise fut de constater que la Bible n'est pas seulement un texte qui se prête à la méditation mais qu'elle enseigne elle-même comment faire : elle est à la fois matière et forme de la méditation !

La méditation est un art qui fait partie de l'art de vivre chrétien en général et de celui du moine occidental que je suis devenu en particulier. Comme telle la méditation est une pratique que nous avons en commun avec d'autres traditions spirituelles dans le monde entier. C'est un vrai bonheur de pouvoir se rencontrer ici aujourd'hui, en échangeant entre nous des pensées et des pratiques selon nos diverses traditions réunies pour l'occasion.

Commençons par un moment de silence, avec le gong. Après trois coups nous chercherons à demeurer assis immobiles extérieurement et silencieux intérieurement. Respirons de façon consciente et rendons-nous compte qu'en ce lieu tous ensemble nous respirons le même air. Soyons reconnaissants pour cette communion entre nous par la respiration. Nous le faisons quelques minutes et conclurons avec un nouveau coup de Gong.

(Après trois minutes de silence et la nouvelle résonnance du Gong)

Merci bien ! Le silence est toujours un cadeau que nous nous offrons mutuellement. Il est en soi fragile mais quand on l'offre ainsi les uns aux autres, il est ce qu'il y a de plus précieux. Comme il importe aujourd'hui de répandre une vraie culture du silence à l'intérieur de nos cultures humaines devenues si bruyantes. Il n'y a pas d'animal plus bruyant sous le ciel que l'être humain.

Il m'a été demandé d'étudier ce que la Bible dit de la méditation. Première surprise : la Bible offre la matière pour méditer mais est aussi un livre qui provoque et stimule la méditation ! Elle est forme et matière à la fois. Le Livre enseigne lui-même comment le lire avec profit.

- Ouvrons le recueil des cent-cinquante Psaumes, à la première page :
- Heureux l'homme qui ne marche pas, ne s'arrête pas, ne s'installe pas dans le cercle des arrogants, des malveillants, des impies, mais trouve sa joie et met son plaisir dans la Loi du Seigneur.
- Et médite sa Loi jour et nuit.
- Il est comme un arbre planté près d'un cours d'eau.
- Jamais son feuillage ne se flétrit, il donne son fruit en la saison.
- Tout ce qu'il entreprend réussit.

Voilà la belle ouverture de tout le livret : qui médite les Psaumes, médite en fait la Torah du Seigneur, et le fait - est supposé le faire - « jour et nuit », portant son fruit en la saison. Tout ce qu'il entreprend réussit. Cela promet!

Ce recueil des Psaumes se trouve en tête de la troisième partie de la Bible hébraïque. Or, en tête de la deuxième partie, celle qui regroupe les Prophètes, on trouve un portrait idéal du nouveau chef du peuple, après la mort de Moïse, à savoir : Josué.

Le livre de Josué comme les livres de Samuel et des Rois sont considérés par la tradition juive comme des livres prophétiques. Les auteurs seraient Josué lui-même, Samuel et Élie et Élisée…

Que devra faire le successeur de Moïse ? Il devra lui aussi « méditer la Torah du Seigneur », « jour et nuit » ! Je vous lis les versets qui le concernent.

Il arriva qu'après la mort de Moïse, le serviteur du Seigneur.
Le Seigneur dit à l'auxiliaire de Moïse, Josué, fils de Noun :
Oui, sois fort et très courageux;
veille à agir selon toute la Loi que t'a prescrite Moïse, mon serviteur.
Ne t'en écarte ni à droite ni à gauche afin de réussir partout où tu iras.
Ce livre de la Loi ne s'éloignera pas de ta bouche;
tu le méditeras/murmureras jour et nuit
afin de veiller à agir selon tout ce qui s'y trouve écrit.
car alors tu rendras tes voies prospères, alors tu réussiras.'

(Josué 1,1.7-8)

Ce qui est plus qu'étonnant, c'est la correspondance littérale entre le Psaume 1 et l'ouverture du livre de Josué. Mais le passage ici se réfère explicitement à « la Loi que Moïse t'a prescrite ». Et de fait, vers la fin de la Torah, au cinquième livre appelé en grec le Deutéronome, on trouve une prescription analogue, concernant le futur roi du peuple. Voici comment est décrit sa conduite :

« Et quand il [à savoir le roi] sera monté sur son trône royal. Il écrira pour lui-même dans un livre une copie de cette Loi [un deutéro-nome, est-il dit dans la traduction grecque ancienne] que lui transmettront les prêtres lévites. Elle restera auprès de lui, et il la lira tous les jours de sa vie pour apprendre à craindre le Seigneur son Dieu en gardant, pour les mettre en pratique, toutes les paroles de cette Loi, et toutes ses prescriptions, sans devenir orgueilleux devant ses frères ni s'écarter à droite ou à gauche du commandement. afin de prolonger, pour lui et ses fils, les jours de sa royauté au milieu d'Israël ». (Dt 17, 18-21)

Ainsi tous les trois, le roi, le nouveau chef après la mort de Moïse et enfin le simple fidèle, membre du peuple de Dieu reçoivent la recommandation de pratiquer la même discipline ! On peut noter une progressive démocratisation de l'ordre de lire, de méditer et de prendre à cœur les paroles de la Loi. Cela concerne « toute la vie », « chaque jour », dit-on pour le roi, « jour et nuit », dit-on pour Josué et le simple fidèle, le juste.

Notons encore que le verbe hagah - traduit tantôt comme méditer, tantôt comme murmurer - se rencontre pour la première fois en Josué 1,8. En Dt 17 on parlait seulement d'écrire et de lire. Au Psaume 1 on recommandait de trouver sa joie et son plaisir dans la Tora du Seigneur, et ensuite de la murmurer jour et nuit. Le verbe hagah, disent les linguistes, serait une onomatopée et exprime le son de la gorge ou du larynx. Le verbe se rencontre notamment pour au moins quatre animaux : l'hirondelle, la colombe, l'ours et le lion (cf. Is 38,14; Ez 7,16, etc.)!

La chose intéressante est qu'à trois reprises, dans les trois parties de la Bible hébraïque, on insiste sur l'art de prendre le Livre à cœur. Le Livre lui-même recommande de le prendre en main chaque jour et même de nuit ! Le Psautier apparaît ici comme le livret qui résume le grand Livre, la Tenach (Torah, Neviim et Khetouvim, c'est-à-dire : la Loi de Moïse, les Prophètes et les Écrits ou Hagiographes).

Comment examiner maintenant de façon plus détaillée toute la richesse de la méditation en acte dans la Bible ? La réalité peut se trouver un peu partout, même là où manque absolument le vocabulaire qui dit « méditer » ou « méditation » !

Je commencerai avec une clef synthétique qui récapitule les trois traditions principales dans le livre connu par nous comme « l'Ancien » ou « Premier Testament », c'est-à-dire pour l'essentiel la Bible hébraïque. Ensuite nous aborderons le recueil appelé « Nouveau Testament ».

L'homme biblique peut être ressaisi à partir d'un triple angle. Il est prêtre, prophète et sage. On découvre de fait dans toute la Bible une triple vision, en dialectique l'une avec les autres : l'une est sacerdotale, très présente dans les cinq livres de la Torah ; l'autre est prophétique, attestée dans les livres prophétiques et une troisième se dit sapientielle. Celle-ci se trouve un peu partout mais plus particulièrement dans les livres poétiques et de sagesse comme les Psaumes, Job, les Proverbes ou le Siracide pour donner quelques exemples.

De toutes les trois on peut apprendre comment méditer.


fr. Benoît Standaert osb.
(c) Clerlande 2022.


Qui veut poursuivre la réflexion sur la méditation, peut consulter l'interview de Maciej Bielawski en Italien, janvier 2022 : Une série de questions essentielles.