Une homélie de fr. Pierre de Béthune
Je ne parlerai que de l'apôtre Pierre dont il est question dans cet évangile.
J'ai choisi ce passage de l'évangile de Jean, parce que plus complet que celui, traditionnel, de Matthieu. Ce texte de Matthieu est bien connu : Jésus a posé la question : « Pour vous, qui suis-je » ? et Pierre a donné la bonne réponse : « Tu es le Christ le Fils du Dieu vivant ! » Alors Jésus lui confie son troupeau. Le Christ fait confiance à la foi solide de Pierre, et il établit son église sur ce fondement stable. Ce texte est très clair.
Mais le texte de saint Jean est plus complet. Il y est également question du troupeau confié, et même par trois fois. Mais s'y ajoutent quelques traits essentiels. Jésus demande trois fois : « Pierre, m'aimes-tu ? », parce que Pierre l'a renié trois fois, quelques jours auparavant. Ce rappel humiliant lui donne l'occasion d'exprimer sa conversion et de renouveler son amour. Celui qui répond : « Tu sais que je t'aime ! » sait bien qui est Jésus, il le savait déjà depuis Césarée-de-Philippe, mais désormais, après sa trahison, il sait aussi beaucoup mieux qui il est lui-même. Il sait qu'il est plein d'ardeur, mais aussi plein de présomption. C'est lui qui, quand Jésus a annoncé sa passion et sa mort, avait dit : « J'irai avec toi, jusqu'à la mort ! ». Et puis il le renie à la première occasion. Il se connait donc bien lui-même désormais, avec sa faiblesse lamentable, - mais aussi avec son attachement indéfectible à son Seigneur : « Tu sais que je t'aime ! ». Ce qui rassure Jésus est cet humble aveu : en un même mouvement il avoue son péché et son amour. Telle est la source de la foi indéfectible.
Le récit de l'évangéliste Jean complète donc celui de Matthieu, parce qu'il précise que ce qui habilite Pierre à conduire le troupeau n'est pas seulement sa meilleure connaissance de la nature du Christ, mais surtout son plus grand amour : « ... m'aimes-tu plus que ceux-ci ? ». Si Jésus lui confie ses agneaux, c'est parce qu'il reconnait l'humble amour de son disciple, au-delà des élans et des déclarations exaltées. Pierre est confirmé dans sa responsabilité vis-à-vis de l'église parce qu'il est porté par un grand amour pour le Christ et pour ses frères.
Aussi il est déterminé à suivre son Seigneur, non pas parce qu'il s'en croit capable, comme avant sa faute, mais seulement parce que Jésus lui dit : « Suis-moi ! ». Sa seule force, sa seule assurance est dans cet appel. Et il exprime son attachement, son amour, en acceptant d'être mené plus loin qu'il ne peut le prévoir...
L'image de l'apôtre Pierre qui ressort de cet évangile est en tout cas beaucoup plus complète et beaucoup plus attachante. Beaucoup plus accessible aussi. Parce que nous nous reconnaissons assez bien en lui.
Aujourd'hui donc, même si nos responsabilités sont dérisoires en comparaison avec celles de l'apôtre Pierre ou de son successeur, nous sommes dans une situation semblable. En effet, désormais les questions : « Pour vous, pour toi, qui suis-je ? » ou : « Pierre, Jacques ou Jean, m'aimes-tu ? » ces questions s'adressent à chacun de nous.
Pour répondre à la première question, pour reconnaitre qui est Jésus pour nous, nous faisons bien de nous demander quelle image nous nous avons de lui. Est-ce le Christ-philosophe, le Pantocrator, le Maître-du-monde, ou le Petit Jésus qui veille sur notre sommeil, ou le prophète de la non-violence, le Thaumaturge. Il faut constamment réorienter, corriger notre cette image, idée en lisant les évangiles pour regarder comment le Seigneur vit, parle, prie, rencontre les gens, bref nous pouvons nous informer correctement, et aussi méditer et prier.
Mais il est plus difficile de répondre à l'autre question « M'aimes-tu ? », parce que, pour être sincère, notre réponse suppose que nous nous connaissions aussi nous-mêmes ! Sommes-nous capables d'aimer ? Pour peu que nous ayons quelque expérience de l'amitié, nous savons que pour pouvoir vraiment aimer, il faut avoir réalisé que, au fond, nous sommes incapables d'aimer autant que le mérite celui ou celle que nous voulons aimer. Sans cette humilité, notre amour est encore un peu illusoire. C'est quand l'apôtre Pierre a réalisé cela, dans une certaine humiliation, comme dit le texte, parce que 'peiné' à cause de ce doute que Jésus oppose à ses réponses, c'est alors qu'il a pu s'écrier : « Seigneur, tu sais tout : tu sais bien que je t'aime ! ». Et c'est alors que Jésus lui a vraiment confié ses brebis.
Pour nous aussi, dans notre communauté, dans nos familles, notre environnement, nous nous efforçons de nous aimer les uns les autres, - autant que nous le pouvons. Mais nous découvrons aussi que l'amour n'est pas une conquête, il est l'humble communion de ceux qui se savent pas très capables, et cependant invités à aimer des frères, des sœurs, également imparfaits. Et alors seulement, avec réalisme, nous pouvons nous connaitre et mieux nous aimer. Il n'y a, me semble-t-il, de vraie connaissance que dans l'humilité, une certaine vulnérabilité et une attente insatiable. Cela vaut pour toute connaissance, celle des autres, de Jésus ou de Dieu.
La fête des apôtres Pierre et Paul est en tout cas l'occasion pour entendre nouvellement les questions que le Christ nous pose dans l'évangile : « Qui suis-je : pour toi ? » et « M'aimes-tu : vraiment ? » Nous n'avons pas de réponse toute faite, et celles que nous trouvons un jour doivent constamment être revues. Mais il est bon de vivre avec ces questions sans réponses. Elles nous gardent vivants dans la foi. Et alors, nous pouvons dire, avec saint Paul « Pour moi, vivre, c'est le Christ ».
À cette époque, le roi Hérode Agrippa se saisit de certains membres de l'Église pour les mettre à mal. Il supprima Jacques, frère de Jean, en le faisant décapiter. Voyant que cette mesure plaisait aux Juifs, il décida aussi d'arrêter Pierre. C'était les jours des Pains sans levain. Il le fit appréhender, emprisonner, et placer sous la garde de quatre escouades de quatre soldats ; il voulait le faire comparaître devant le peuple après la Pâque. Tandis que Pierre était ainsi détenu dans la prison, l'Église priait Dieu pour lui avec insistance. Hérode allait le faire comparaître. Or, Pierre dormait, cette nuit-là, entre deux soldats ; il était attaché avec deux chaînes et des gardes étaient en faction devant la porte de la prison. Et voici que survint l'ange du Seigneur, et une lumière brilla dans la cellule. Il réveilla Pierre en le frappant au côté et dit : « Lève-toi vite. » Les chaînes lui tombèrent des mains. Alors l'ange lui dit : « Mets ta ceinture et chausse tes sandales. » Ce que fit Pierre. L'ange ajouta : « Enveloppe-toi de ton manteau et suis-moi. » Pierre sortit derrière lui, mais il ne savait pas que tout ce qui arrivait grâce à l'ange était bien réel ; il pensait qu'il avait une vision. Passant devant un premier poste de garde, puis devant un second, ils arrivèrent au portail de fer donnant sur la ville. Celui-ci s'ouvrit tout seul devant eux. Une fois dehors, ils s'engagèrent dans une rue, et aussitôt l'ange le quitta. Alors, se reprenant, Pierre dit : « Vraiment, je me rends compte maintenant que le Seigneur a envoyé son ange, et qu'il m'a arraché aux mains d'Hérode et à tout ce qu'attendait le peuple juif. »
- Parole du Seigneur.
Ac 12, 1-11
Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sans cesse à mes lèvres. Je me glorifierai dans le Seigneur : que les pauvres m'entendent et soient en fête !
Magnifiez avec moi le Seigneur, exaltons tous ensemble son nom. Je cherche le Seigneur, il me répond : de toutes mes frayeurs, il me délivre.
Qui regarde vers lui resplendira, sans ombre ni trouble au visage. Un pauvre crie ; le Seigneur entend : il le sauve de toutes ses angoisses.
L'ange du Seigneur campe alentour, pour libérer ceux qui le craignent. Goûtez et voyez : le Seigneur est bon ! Heureux qui trouve en lui son refuge !
Ps 33 (34), 2-3, 4-5, 6-7, 8-9
En ce temps-là, Jésus, arrivé dans la région de Césarée-de-Philippe, demandait à ses disciples : « Au dire des gens, qui est le Fils de l'homme ? » Ils répondirent : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d'autres, Élie ; pour d'autres encore, Jérémie ou l'un des prophètes. » Jésus leur demanda : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Alors Simon-Pierre prit la parole et dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Prenant la parole à son tour, Jésus lui dit : « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n'est pas la chair et le sang qui t'ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l'emportera pas sur elle. Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. »
- Acclamons la Parole de Dieu.
Mt 16, 13-19