Une homélie de fr. Pierre de Béthune
Si Jésus est allé au Jourdain pour demander le baptême à Jean, ce n'était pas parce qu'il était pécheur. Mais s'il a tenu à quitter la Galilée pour descendre jusqu'au fond de la vallée du Jourdain, près de la Mer Morte, -- 480 mètres en dessous du niveau de la mer, le point le plus bas de la terre ! -- c'est parce qu'il voulait se joindre à ces pèlerins en quête d'une purification de leurs péchés. La première démarche de sa vie publique a consisté à demander de rejoindre ceux qui étaient le plus bas. Il a voulu être plongé, comme eux, jusqu'au cou, immergé dans ces eaux boueuses du Jourdain, avec tous ces fils perdus de la maison d'Israël. C'était là une démarche étonnante. Même le Baptiste ne comprenait pas cette volonté d'être immergé dans le Fleuve et dans la foule des pécheurs. Seulement plus tard, il a compris que Jésus était « l'Agneau de Dieu qui porte le péché du monde ». Jésus n'était pas pécheur, mais il était tout à fait solidaire des pécheurs. Et non seulement solidaire, mais compatissant, comme le prophète Isaïe l'avait entrevu : « c'étaient nos souffrances qu'il portait ; c'est par nos péchés qu'il a été broyé ».
Et c'est alors, après être descendu au plus bas et au plus obscur de notre humanité, qu'il prend conscience de la volonté de Dieu sur lui. Cette expérience concrète a été pour lui une révélation. Car il est ensuite sorti de l'eau ; Jean l'a aidé à sortir, et il a compris qu'il était vraiment le Fils du Père très bon, celui qui ouvre ses bras au prodigue, « qui donne son soleil aux bons et aux mauvais et fait tomber la pluie sur les justes et les injustes ». Il a réalisé qu'il était le Fils Bien-aimé du Père, son témoin parmi les humains désemparés, pour inaugurer la venue du Royaume, « pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres et aux captifs la libération », parce qu'il savait que désormais l'Esprit saint était sur lui.
Évidemment, sa vocation ne lui est pas tombée dessus par hasard, lors d'un séjour auprès de son cousin, mais là, il a eu la confirmation de ce qu'il pressentait dans sa prière à son Père, et en suivant son désir d'immersion parmi les pauvres de toutes sortes. Dès lors, après encore une retraite au désert de Judée, poussé par l'Esprit, il a commencé à annoncer le 'Royaume des Cieux', et l'appel à accueillir l'amour de son Père.
La fête du Baptême du Christ est donc importante. La naissance de Jésus n'est racontée que par saint Luc ; saint Matthieu est le seul à parler de la visite des mages ; mais le baptême du Christ est évoqué par Matthieu, Marc, Luc et Jean, et également dans les Actes des Apôtres et par saint Paul. Il s'agit en effet d'un moment tout à fait significatif de la vie de Jésus. Curieusement cet épisode décisif de la vie de Jésus n'était pourtant pas célébré dans notre liturgie. C'était probablement parce que certains hérétiques, les 'adoptianistes', avaient conclu de ce récit que Jésus avait été jusqu'alors un homme ordinaire, et qu'il avait reçu ce jour-là l'adoption filiale de Dieu, précisément quand celui-ci a dit : « Aujourd'hui, je t'ai engendré ». Mais aujourd'hui cette hérésie ne nous menace plus. Nous sommes donc heureux de pouvoir conclure ce temps de Noël par cette fête qui nous invite à entrer à notre tour dans la démarche du Christ.
Oui, mes frères, mes sœurs, nous prenons ainsi mieux conscience aujourd'hui que le chemin de l'Évangile commence toujours par un abaissement, en solidarité avec tous ceux qui sont abaissés, humiliés, mais c'est pour aussi réaliser que nous sommes également fils et filles de Dieu, frères et sœurs du Christ.
Pour aller par le chemin de l'évangile, il faut cependant commencer par dépasser une certaine fixation sur le péché qui caractérisait jadis la spiritualité et qui déteint encore aujourd'hui sur la liturgie. À ceux qui venaient recevoir le baptême de Jean pour être quitte de leur péché, il indique le chemin paradoxal : pour vous décharger de votre propre péché, prenez sur vous le péché des autres. Oui, « portez les fardeaux les uns des autres ». Comme l'Agneau de Dieu, il s'agit pour nous aussi de « porter, pour les enlever, les péchés du monde ». Au lieu de rester humiliés, blessés, et de demander sans cesse à Dieu de vous pardonner, commencez par pardonner. Pardonnez à ceux qui vous ont fait du tort, en prenant sur vous leurs torts, et vous serez libérés de votre culpabilité. Aussi, dans la prière que Jésus nous enseignera, il redira que notre Père pardonne effectivement à ceux qui qui ont eux-mêmes pardonné : « comme nous avons pardonné à ceux qui nous avaient offensé ».
La première étape sur le chemin à la suite du Christ qui a traversé les eaux du baptême consiste en tout cas à savoir se baisser. C'est ainsi que nous pouvons au mieux entrer dans le mystère de l'incarnation, du Dieu venu ici-bas, le mouvement de l'Évangile. Bien sûr, pour bien comprendre l'Évangile, il faut le lire, l'étudier, le prier, mais pour le comprendre tout à fait, il nous faut nous engager concrètement dans un geste, comme a fait Jésus. En particulier le geste de s'abaisser. Quand il a voulu nous faire comprendre l'essentiel de la volonté de son Père, il s'est en effet abaissé au plus bas, au niveau des pieds de ses disciples, pour les laver, et il a ajouté : « Comprenez-vous ce que j'ai fait pour vous ? (...) vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; car c'est un exemple que je vous ai donné... » Ensuite seulement, Jésus a révélé à ses disciples le cœur de son message. Et c'est aussi alors qu'il leur a confié le soin de continuer le geste du partage du pain en son mémorial.
Récemment, en parlant à des personnes engagées au service des enfants malades, le pape François a dit : « Pour comprendre la réalité de la vie, il faut s'abaisser, comme nous nous abaissons pour embrasser un enfant. Ils nous enseignent cela. Les orgueilleux, ne peuvent pas comprendre la vie, car ils ne sont pas capables de s'abaisser. »
Mais pour continuer le mouvement de l'Évangile, il faut ensuite, aussi savoir se relever. L'Évangile ne nous demande pas de rester continuellement courbés ! « Redressez-vous, levez la tête, car votre délivrance est proche. » Le mouvement qui caractérise toute la vie de Jésus aboutit en effet à la résurrection. Chaque fois que nous nous redressons, après avoir servi, ou comme au sortir des eaux, nous pouvons, nous aussi, aider nos frère et sœurs à se redresser, quand ils en ont besoin. Je crois que pour effectivement aider nos frères et sœurs à se redresser, à participer à la résurrection de Jésus, -- ce qui est évidemment le plus important, -- il faut s'être d'abord abaissé à leur service. Nous oublions parfois cet ordre des choses, parce que le rôle de sauver nous convient mieux, mais ce serait ignorer le chemin que Jésus le premier a voulu prendre. C'est en tout cas ce que cette fête du Baptême du Seigneur nous rappelle opportunément.
Nous pourrons alors aller jusqu'au bout de ce que nous enseigne l'évangile d'aujourd'hui et comprendre que Dieu est notre Père, comme Jésus l'a réalisé en sortant du Jourdain. Oui, mes sœurs, mes frères, la parole la plus importante de l'évangile, la parole qui peut nous relever et nous permettre d'aller avec confiance sur le chemin ouvert par le Seigneur Jésus, c'est ce que dit le Père à chacun, à chacune d'entre nous : « Tu es mon fils, ma fille bien-aimée, en toi j'ai mis tout mon amour ! »
Consolez, consolez mon peuple, - dit votre Dieu - parlez au c?ur de Jérusalem. Proclamez que son service est accompli, que son crime est expié, qu'elle a reçu de la main du Seigneur le double pour toutes ses fautes.
Une voix proclame : « Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur ; tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu. Que tout ravin soit comblé, toute montagne et toute colline abaissées ! que les escarpements se changent en plaine, et les sommets, en large vallée ! Alors se révélera la gloire du Seigneur, et tout être de chair verra que la bouche du Seigneur a parlé. »
Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem. Élève la voix, ne crains pas. Dis aux villes de Juda : « Voici votre Dieu ! » Voici le Seigneur Dieu ! Il vient avec puissance ; son bras lui soumet tout. Voici le fruit de son travail avec lui, et devant lui, son ouvrage. Comme un berger, il fait paître son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son c?ur, il mène les brebis qui allaitent.
- Parole du Seigneur.
Is 40, 1-5.9-11
Revêtu de magnificence, tu as pour manteau la lumière ! Comme une tenture, tu déploies les cieux, tu élèves dans leurs eaux tes demeures.
Des nuées, tu te fais un char, tu t'avances sur les ailes du vent ; tu prends les vents pour messagers, pour serviteurs, les flammes des éclairs.
Quelle profusion dans tes ?uvres, Seigneur ! Tout cela , ta sagesse l'a fait ; la terre s'emplit de tes biens. Voici l'immensité de la mer, son grouillement innombrable d'animaux grands et petits.
Tous, ils comptent sur toi pour recevoir leur nourriture au temps voulu. Tu donnes : eux, ils ramassent ; tu ouvres la main : ils sont comblés.
Tu caches ton visage : ils s'épouvantent ; tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle : ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre.
Ps 103 (104), 1c-3a, 3bc-4, 24-25, 27-28, 29-30
Bien-aimé, la grâce de Dieu s'est manifestée pour le salut de tous les hommes. Elle nous apprend à renoncer à l'impiété et aux convoitises de ce monde, et à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété, attendant que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus Christ. Car il s'est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien.
Lorsque Dieu, notre Sauveur, a manifesté sa bonté et son amour pour les hommes, il nous a sauvés, non pas à cause de la justice de nos propres actes, mais par sa miséricorde. Par le bain du baptême, il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l'Esprit Saint. Cet Esprit, Dieu l'a répandu sur nous en abondance, par Jésus Christ notre Sauveur, afin que, rendus justes par sa grâce, nous devenions en espérance héritiers de la vie éternelle.
- Parole du Seigneur.
Tt 2, 11-14 ; 3, 4-7
En ce temps-là, le peuple venu auprès de Jean le Baptiste était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n'était pas le Christ. Jean s'adressa alors à tous : « Moi, je vous baptise avec de l'eau ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi. Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu. »
Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu'après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s'ouvrit. L'Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. »
- Acclamons la Parole de Dieu.
Lc 3, 15-16.21-22