Homélie du 5 janvier 2025

Nous sommes venus d'Orient adorer le roi

L'Épiphanie du Seigneur - Année C

Une homélie de fr. Pierre de Béthune

Homélie :
avancez jusqu'à  31' 15' 00"

Les fêtes de Noël ne seraient pas complètes sans l'Épiphanie. Non pas qu'il faille compléter la révélation du mystère par quelque complément d'information. Mais la célébration d'aujourd'hui précise comment ce mystère nous atteint et nous appelle. À Noël nous est annoncée la venue de Dieu dans notre chair. Et devant la merveille nous restons d'abord muets, ravis... Après quelques jours de recul, la liturgie nous invite maintenant à contempler le rayonnement de cette venue jusqu'aux confins de la terre. C'est ce que signifie l'arrivée des mages, que la tradition voit arriver des quatre coins de l'horizon. Mais ce rayonnement en toutes les directions ne devrait pas nous faire oublier qu'il doit aussi pénétrer jusqu'au plus profond de chacun de nous, pour nous transformer, et surtout pour que nous puissions y participer à notre tour, en rayonnant, autant que nous pouvons, la lumière de l'évangile.

En effet, on traduit généralement Épiphanie par 'manifestation'. Mais il faut bien entendre ce mot. Une manifestation, un manifeste, veut nous forcer à connaitre quelque chose. Et c'est bien ainsi que l'Épiphanie a souvent été comprise : des mages on a fait des rois fastueux dont les cortèges forcent l'admiration. À l'opposé de l'incognito de Noël, l'Épiphanie serait enfin cette pleine manifestation où la gloire du Fils de Dieu s'imposerait au monde entier. Mais en voulant illustrer ainsi le mystère, nous sommes loin de l'Évangile. Jésus n'a jamais voulu imposer quoi que soit, - sinon le silence, aux démons et à la mer déchainée.

Je crois que la fête d'aujourd'hui n'est pas destinée à imposer une image glorieuse ; elle est bien plutôt une invitation à ouvrir notre cœur et à nous laisser toucher par la manifestation de l'amour de Dieu apparue en la personne de Jésus. Car nous connaissons bien les textes, l'énoncé du mystère, mais il importe maintenant d'en faire l'expérience. Nous voulons accueillir au plus vrai de nous-mêmes cette lumière dont il est question, pour pouvoir bien la répandre, la réfracter en quelque sorte.

À ce propos, je voudrais d'abord vous raconter une histoire, une expérience que j'ai faite quand j'étais petit. Avec mon frère, nous aimions explorer notre environnement et en particulier les bâtiments d'une vielle ferme. Il y avait là, entre autres, un grenier sans fenêtres auquel on pouvait accéder par une échelle. Il y faisait tout à fait obscur, mais, par un petit trou dans la toiture, un rayon de soleil y pénétrait quelquefois. Il faisait alors une tache de soleil sur le plancher, et cette tache rayonnait dans tout l'espace. C'était très fascinant. Un jour de grand soleil j'y ai entraîné un ami pour lui montrer ce phénomène. Mais ce jour-là, comme la tache de lumière se déplaçait peu à peu avec le soleil, elle a abouti à un trou dans le plancher. À ce moment il a commencé à faire plus sombre, et finalement tout à fait noir dans le grenier, parce que le rayon de soleil avait été comme englouti par le trou dans le plancher et il éclairait désormais le local d'en dessous. On ne voyait plus que quelques poussières qui flottaient dans le rayon, mais elles ne pouvaient pratiquement plus diffuser aucune lumière. J'ai ainsi compris qu'en réalité la lumière elle-même est invisible, tant qu'elle ne rencontre pas un obstacle qui la révèle, comme le plancher du grenier. Notre planète est évidemment ce grand obstacle au rayonnement du soleil. Nous pensons que la lumière nous enveloppe comme une atmosphère, mais il ne faut pas oublier qu'elle est toujours un rayon, un rayonnement du soleil.

Au moment où nous fêtons l'Épiphanie, au terme des célébrations de Noël, nous pouvons mieux voir que Jésus est (précisément) celui qui a pleinement accueilli le rayonnement de l'amour de son Père des Cieux. Il s'en est laissé pénétrer, traverser et transfigurer. C'est pourquoi une grande lumière émane de lui, et elle rayonne à travers les siècles, jusqu'à nous. En son temps, dans un monde préoccupé de sa survie, en cette Palestine occupée par les Romains, même les chefs du peuple n'avaient pas beaucoup de disponibilité pour l'essentiel, la miséricorde de Dieu. Mais c'est là, en toutes les contradictions que Jésus a subies, qu'il manifeste l'amour autrement invisible de Dieu. Dans cet environnement confus et troublé Jésus «  a illuminé tout homme, en venant dans ce monde  », comme dit saint Jean.

En jusqu'aujourd'hui, l'amour de Dieu se révèle en lui. Nous le voyons parce que chez lui, il est révélé, pleinement manifesté et, en quelque sorte réfracté (comme dans un prisme). Il se manifeste en sa personne aux couleurs des Béatitudes : pauvreté de cœur et humilité, faim et soif de justice, douceur, pureté de cœur, miséricorde, patience dans les contradictions, recherche de la paix, joie, compassion, respect absolu pour le plus petit et le dernier, confiance dans la bonté fondamentale de tous et toutes. C'est en tout cela que Jésus est «  l'icône de Dieu  »', comme l'écrit saint Paul, ou encore «  le miroir intact de l'amour du Père (...) qui vient refléter sur nos visages l'éclat perdu de sa bonté  ».

De fait, quant à nous, c'est en regardant Jésus, en écoutant sa Parole et en essayant de faire, à notre tour, ce qu'il faisait pour les hommes, que nous sommes aussi inondés par sa grande lumière et que nous pouvons devenir nous-mêmes sources de lumière pour les autres. Aussi, aujourd'hui, n'y a-t-il plus d'Épiphanie, de manifestation de Dieu que par nous, individuellement et en communauté, puisqu'il n'y a de révélation de Dieu que là où il est reçu, incarné. Sans nous, le rayonnement de l'amour de Dieu se perd, comme englouti par le vide de l'indifférence mondialisée. Et les gens nous disent : «  Où est-il ton Dieu ?  » Tel est le drame aujourd'hui : on parle de Dieu, on en parle beaucoup, mais il n'est plus visible, quand il n'est pas reçu dans les cœurs.

Oui, mes sœurs, mes frères, nous sommes appelés à participer, à notre place, à cette manifestation, cette épiphanie de la miséricorde, la paix, la douceur, la pureté, la patience, l'humilité de Jésus, bref son amour, l'amour du Père «  pour tous les hommes qu'il aime  ». Comme le dit encore saint Paul : «  Dieu qui a dit :'que la lumière brille au milieu des ténèbres', c'est lui-même qui a brillé dans nos cœurs pour faire resplendir la vraie connaissance de Dieu qui rayonne sur le visage du Christ Jésus  ».

En conclusion, je voudrais encore rappeler que cette transformation par l'évangile, à laquelle nous sommes appelés n'est pas destinée à nous rendre plus brillants, et à rendre l'Église plus attrayante, pour que tous y accourent. En ouvrant la porte sainte de la basilique Saint-Pierre, le pape a expliqué qu'en réalité, cette porte ne devait pas tant s'ouvrir vers l'intérieur, pour permettre aux gens d'entrer dans l'église ; elle doit surtout s'ouvrir vers l'extérieur, pour permettre aux fidèles de ne pas rester confinés dans leurs dévotions et leurs problèmes, mais aller plutôt vers tous les humains, et en particulier ceux qui attendent notre compassion. C'est pour cela qu'à l'Épiphanie, nous ne fêtons pas la convergence de toutes les nations et de tous les peuples vers Jérusalem, comme l'évoque le prophète Ésaïe, ou vers Rome, en pèlerinage pour l'année sainte, mais au contraire l'envoi jusqu'aux extrémités du monde de tous les disciples de Jésus qui rayonnent et manifestent quelques facettes de son amour. Car leur cœur éveillé, illuminé par l'Évangile, est toujours un cœur ouvert, ̶ un cœur comme celui de Jésus, donné comme un pain partagé, offert pour la multitude.

 

La gloire du Seigneur s'est levée sur toi

Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s'est levée sur toi. Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le Seigneur, sur toi sa gloire apparaît. Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. Lève les yeux alentour, et regarde : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur la hanche. Alors tu verras, tu seras radieuse, ton c?ur frémira et se dilatera. Les trésors d'au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des nations. En grand nombre, des chameaux t'envahiront, de jeunes chameaux de Madiane et d'Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l'or et l'encens ; ils annonceront les exploits du Seigneur.

- Parole du Seigneur.

Is 60, 1-6

Il est maintenant révélé que les nations sont associées au même héritage, au partage de la même promesse

Frères, vous avez appris, je pense, en quoi consiste la grâce que Dieu m'a donnée pour vous : par révélation, il m'a fait connaître le mystère. Ce mystère n'avait pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées, comme il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l'Esprit. Ce mystère, c'est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l'annonce de l'Évangile.

- Parole du Seigneur.

Ep 3, 2-3a.5-6

Nous sommes venus d'Orient adorer le roi

Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l'orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. » En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui. Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ. Ils lui répondirent : « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Juda, car de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël. » Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l'étoile était apparue ; puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant. Et quand vous l'aurez trouvé, venez me l'annoncer pour que j'aille, moi aussi, me prosterner devant lui. » Après avoir entendu le roi, ils partirent.

Et voici que l'étoile qu'ils avaient vue à l'orient les précédait, jusqu'à ce qu'elle vienne s'arrêter au-dessus de l'endroit où se trouvait l'enfant. Quand ils virent l'étoile, ils se réjouirent d'une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l'or, de l'encens et de la myrrhe.

Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.

- Acclamons la Parole de Dieu.

Mt 2, 1-12