Une homélie de fr. Yves de patoul
Pour la fête du « Christ-Roi »24 novembre 2024
Le Christ-Roi ?
Qui est-il? Comment l'est-il ? Qu'est-ce que je fête aujourd'hui ?
La lecture des textes du jour pourra peut-être me guider, en tout cas ouvrir des pistes.
Je ne peux donc que témoigner de ma lecture, lecture partielle, voire partiale.
Vous, frères et sœurs, vous verrez ce qui pourrait faire lien avec les réalités d'aujourd'hui
Daniel est un héros de la résistance au temps de l'exil à Babylone. C'est aussi un prophète ayant un regard acéré sur le monde, le monde comme il va. C'est aussi un homme de visions.
Ses premières visions sont des visions de nuits noires, peuplées de bêtes monstrueuses, ténébreuses, néfastes pour les humains, créatrices de malheurs.
Elles évoquent des empires qui ont dominé, laminé, asservi, exilé le peuple d'Israël.
S'ils se sont écroulés, si leur pouvoir leur fut retiré, il n'empêche, dit le texte avec un réalisme bien à propos, qu' « un supplément de vie leur est offert pour un moment, pour un temps ». (C'est le verset qui précède le texte d'aujourd'hui).
Le pire est toujours bien un possible présent, une éventualité qui peut s'actualiser, la proximité d'un avenir où règne du malheur.
Au sein de cette dure réalité, de cette nuit noire, Daniel voit autre chose : c'est ce qu'évoque notre texte du jour.
Il voit venir « comme un homme » « comme un fils de l'homme ».
Etrange et énigmatique venue.
Quelqu'un de proche de notre humanité, de tout ce qui nous arrive, de tout ce qui tisse nos vies.
« Comme un homme » : « Comme », cela peut signifier « quasi », pas tout-à-fait, pas vraiment, ou plus que et donc indiquer une ressemblance qui ne soit pas similitude. Mais alors,« Comme » peut en même temps me confronter au fait que je ne saisis pas très bien ce dont il s'agit. Ce« Comme » dépasse mon entendement.
Daniel veut peut-être aussi me faire sentir que ce « Comme un homme » c'est quand même quelqu'un comme moi, comme nous et qu'il peut être affecté par tout ce qui advient dans nos vies. Et ce serait de celui-là que le texte déclare qu'il lui est donné « domination, gloire et royauté ».
Qui que je sois, quelles que soient nos identités, tous, dit le texte, « nous le servirons ».
Pourrais-je y comprendre : que moi et nous tous, nous pourrons être de sa maison ?!
Le texte dit encore à propos de celui-là que « sa domination est éternelle, ne passera pas, que sa royauté ne sera pas détruite ».
La venue d'un tel « fils de l'homme » touché au cœur, affecté par nos vies, affecté comme nous dans sa vie, cette venue et cette présence est déclarée de toujours, pour toujours.
Dans l'évangile de Jean : on peut y voir 3 temps
Temps 1
A regarder la scène de la comparution de Jésus devant Pilate, la royauté du Christ est d'abord évoquée comme une question et non comme un fait.
Pilate questionne : « Es-tu le roi des Juifs ? »
C'est donc qu'il en a entendu parler mais pas de la bouche de Jésus, en provenance d'ailleurs, des voix accusatrices, dont on sait qu'elles ne sont pas favorables à Jésus.
La royauté : c'est, ici une accusation à charge ! Du néfaste ! Une réalité porteuse de mort !
Cela, Pilate l'a perçu.Cela, Jésus le sait.
Sur ce savoir commun, Jésus va s'appuyer pour répondre à Pilate.
Il n'endosse pas, ne confirme pas, n'avalise pas cette royauté dont on veut l'affubler.
Il la tient à distance et simplement, Il la renvoie vers son origine et à son tour questionne Pilate:
« Est-ce de toi-même que tu dis cela, ou bien parce que d'autres te l'on dit ? ».
Et Pilate met alors au jour le lieu d'où provient cette attribution de royauté.
Cela s'origine au cœur du fait que : « sa nation et les chefs des prêtres l'aient livré »voulant sa mort.
Cette royauté devient alors un faux motif pour l'accusation. C'est une « fake new ».
Pilate tente alors de décaler le procès et d'en venir à la recherche de ce qu'il espère être un vrai motif d'accusation: « Qu'as-tu donc fait ? ».
A cette question, comme telle, aucune réponse n'est apportée.
En tout cas, la prise de parole de Jésus ne s'aligne pas avec le fil de la parole attendue ou imaginée par Pilate.La parole de Jésus ne se mettra pas sur les sentiers de l'entendement de Pilate.
Temps 2
Une royauté va être déclarée mais comme à contre-courant de la vision commune que les humains peuvent en avoir et du pouvoir qui y est associé.
« Ma royauté ne vient pas de ce monde, ne vient pas d'ici. »
Cette royauté, c'est autre chose, c'est autrement, mais quoi et comment ?
Qui sait, qui serait en mesure de répondre à ce comment ?
Même si Pilate (qui n'est peut-être pas tout-à-fait le rustaud que l'on nous a parfois présenté)
perçoit confusément comme un bouleversement de réalité, il retombe (comme il et nous arrrive parfois) sur le besoin de ce monde de savoir, de circonscrire clairement le réel, de l'enfermer dans une réponse close.
Donc jaillit la question :« Alors, tu es roi ? ».
Ce que tu viens de dire, confirme-t-il ta Royauté. ?
Il me faut savoir, il faut que je sois sûr, assuré qu'il en est bien ainsi.
J'ai besoin de ta réponse pour porter mon jugement, pour guider ma vie !
Temps 3
A cette question qui cherche à conclure, Jésus ne répond pas par l'affirmation d'un quelconque titre, par la reconnaissance d'un statut royal qui le qualifierait.
Il renvoie Pilate à sa vision du réel, à ce que sa mentalité lui permet de voir, à son bon sens pragmatique et il transforme la question de Pilate en une affirmation par Pilate.
« Tu l'as dit : je suis roi ».
Par cette réponse, Jésus ne déclare pas, parlant de lui-même, qu'il est roi.Il déclare que c'est Pilate qui déclare cela.
(Pilate ira même jusqu'à inscrire cette déclaration sur une pancarte posée sur le bois de la croix.)
D'autres traductions le font percevoir avec une évidence plus nette :
(Si l'on fait appel à la traduction d'André Chouraqui de l'évangile de Jean et si l'on se tourne vers ce que l'on peut lire dans les 3 évangiles synoptiques, les formulations indiquent bien qu'il s'agit d'une déclaration de Pilate)
« Tu dis, toi, que je suis roi » ou « C'est toi qui le dis. »
Serait-ce alors qu'aujourd'hui, il s'agisse de la fête du « Christ, non roi » ?
Mais on ne peut s'arrêter là, il faut poursuivre la lecture.
Si Jésus ne se déclare pas roi, s'il ne s'attribue ni titre ni statut royal, il fait cependant une forte déclaration, une proclamation débutant par un « je ... »,un « Moi, je... » (Chez Chouraqui, « Je » est renforcé par un « moi, je ... »), proclamation portant sur sa venue en lien avec une mission :« Je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. »
C'est bien ce qu'il est en train de réaliser ici (lors de sa comparution devant Pilate) notamment par son propre regard porté sur ce qu'est la royauté.
Qu'en est-il de cette vérité dont il témoigne ?
Dans un autre verset, la vérité est enchâssée dans une triade (qui est déclaration par jésus de son identité laquelle est aussi sa mission):
« Je suis le chemin, la vérité, la vie. » (Jn 14, 6)
Ainsi enchâssée, la vérité dont il témoigne n'est pas vérité abstraite, vérités de principes, mais vérité présente en travail, émanant, habitant, rencontrée, faisant sol avec les chemins que nous parcourons, ouvrant, soutenant la vie.
La lecture de Marc qui a guidé cette année liturgique ne m'a-t-elle pas fait rencontrer ce Jésus-là ?
Un Jésus annonceur de la venue et de la proximité d'un royaume, un Jésus témoignant de nos chemins, des vérités côtoyées ou biaisées et des souffles de vie qui les parcourent.
N'ai-je pas rencontré un « comme un homme » dont le chemin est de proximité avec nous, un Jésus troublé, affecté jusqu'aux entrailles, aimant même le jeune homme riche et droit mais qui ne fait pas le pas manquant, un Jésus nous laissant à notre vie « Va, dans ta maison » dit-il au paralytique guéri.
Un Jésus aussi exigeant, réclamant vérité, quand il parle à ses disciples, à ceux qui ont acceptés de témoigner de lui:
ne pouvant supporter que soient rabroué tout qui s'approche de lui.
ne pouvant supporter que soit rabroué tout qui porte action de vie sans cependant appartenir au cénacle.
Un Jésus exorciste, libérant de toute domination aliénante, un Jésus guérisseur rendant possible la retrouvaille de la mobilité, du dynamisme de vie, de la capacité de bien voir et de bien entendre.
Au terme de cette année liturgique, il y a donc bien des raisons de prendre le temps pour la fête de ce Christ bouleversant :
Celui qui nous touche, parfois nous bouscule, qui nous pousse, nous surprend, nous chamboule, attise en nous une joie profonde comme il en fut pour ces pèlerins d'Emmaüs qui déclarent :« Notre cœur n'était-il pas tout brûlant au-dedans de nous quand il nous expliquait les écritures » (Lc. 24, 32).
La fête de ce jour, la royauté fêtée pourrait donc bien, au terme de cette année liturgique, être celle de ce Christ bouleversant.
Moi, Daniel, je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d'homme ; il parvint jusqu'au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite.
- Parole du Seigneur.
Dn 7, 13-14
Le Seigneur est roi ; il s'est vêtu de magnificence, le Seigneur a revêtu sa force.
Et la terre tient bon, inébranlable ; dès l'origine ton trône tient bon, depuis toujours, tu es.
Tes volontés sont vraiment immuables : la sainteté emplit ta maison, Seigneur, pour la suite des temps.
Ps 92 (93), 1abc, 1d-2, 5
Que la grâce et la paix vous soient données de la part de Jésus Christ, le témoin fidèle, le premier-né des morts, le prince des rois de la terre.
À lui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père, à lui, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. Amen. Voici qu'il vient avec les nuées, tout ?il le verra, ils le verront, ceux qui l'ont transpercé ; et sur lui se lamenteront toutes les tribus de la terre. Oui ! Amen !
Moi, je suis l'Alpha et l'Oméga, dit le Seigneur Dieu, Celui qui est, qui était et qui vient, le Souverain de l'univers.
- Parole du Seigneur.
Ap 1, 5-8
En ce temps-là, Pilate appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien d'autres te l'ont dit à mon sujet ? » Pilate répondit : « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t'ont livré à moi : qu'as-tu donc fait ? » Jésus déclara : « Ma royauté n'est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j'aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n'est pas d'ici. » Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C'est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. »
- Acclamons la Parole de Dieu.
Jn 18, 33b-37