Une homélie de fr. Benoît Standaert
Bienvenue à vous tous, chers sœurs et frères, chers amis, en ce dimanche, fête de la grande Thérèse d'Avila et de toutes les Thérèse que nous connaissons, de près et de loin, dimanche aussi de l'invitation ultime à la fête décisive. Car, nous disent les Ecritures, il y a une fête décisive qui nous attend, en contraste très certainement avec les horreurs qui se prolongent dans nos médias : il y a la guerre et en Ukraine et en Israël-Palestine. Et il y en a malheureusement d'autres encore sur notre petite planète bleue. Comme il est précieux de se retrouver ensemble, dans l'humilité d'une prière de pauvres pour obtenir ce que notre monde ne réussit pas à vivre de façon stable : la bonne entente, le respect mutuel de nos différences, la justice et la paix. Tournons-nous vers Celui qui ne manque jamais, celui dont Paul dira : « Je puis tout en Celui qui me donne sa force », ce Christ victorieux du mal, de la haine et de la mort. Invoquons-le avec foi, pour nous-mêmes et plus encore pour notre monde si éprouvé.
Homélie
Chers amis.
La première lecture, comme souvent, donne le ton : Dieu veut la fête, et non pas selon une demi-mesure : c'est fête totale, avec de très bons vins et des viandes succulentes, et cela concerne « toutes les nations », « toute la terre ». « Il essuiera les larmes sur tous les visages ». « Le voile de deuil qui enveloppait tous les peuples, il l'enlèvera », oui, « il détruira la mort... ». Un prophète parle, crie, élève la voix, veut faire entendre un message superlatif qu'il attribue au cœur de Dieu. Osons-nous le croire ?
Jésus, saint Paul, les évangélistes y ont cru et ont prolongé cette méditation sur l'Ultime. Dieu veut la fête, comme la fin de toutes choses. L'histoire n'est pas une course vers un trou noir, un train qui fonce dans le mur, un fil qui s'effiloche et que des Parques viennent d'un coup trancher avec un ciseau, comme on l'a pensé dans la mythologie grecque.
Réécoutons saint Matthieu. Cela fait trois semaines qu'il nous laisse Jésus sur l'esplanade en train d'exposer l'une parabole après l'autre aux mêmes auditeurs qui sont « les grands prêtres et les anciens du peuples ». Il y a quinze jours Jésus remontait jusqu'à Jean Baptiste : le début de toute la prédication du Règne de Dieu. Un homme avait deux fils. L'un refuse d'aller à la vigne mais se reprend, l'autre dit Oui mais n'y va pas. Voilà ce qui s'est passé en écoutant Jésus. Un seul des deux fait la volonté de son Père.
Dimanche dernier c'était la parabole qui rejoignait le présent le plus poignant et ce qui s'en suivra : Après les refus des envoyés du maître à la vigne, voici qu'arrive en dernier le fils unique, le bien-aimé. Jésus raconte sa propre mort prochaine. Et Matthieu le laisse interroger ses interlocuteurs : « Que fera la maître de la vigne quand il reviendra ? Il jugera durement ceux qui ont tué le fils ! » Et « la vigne passera à d'autres » !
Vient alors la troisième parabole, la dernière, aujourd'hui. Ici, Jésus envisage tout le futur. Ce sera une grande fête, aux allures plus que royales, comme dans la prophétie d'Isaïe 25. Une fête des noces, la plus grande fête connue à l'époque, et elle concerne le fils du grand Roi ! On retrouve les viandes succulentes, des vins de haute qualité ! Mais voilà, premier tableau du drame : les premiers invités dénigrent l'invitation, ils ont d'autres priorités, assez terre à terre en réalité : aller voir son champ, ou s'occuper de son commerce... En outre, les envoyés du Roi sont maltraités, oui tués. Violence pour violence : le Roi entre dans une grande colère, et, dit le texte : « il envoya ses troupes, fit périr les meurtriers et incendia leur ville ». Matthieu songe à Jérusalem, détruite par les troupes romaines, quarante ans après la mort de Jésus...
Mais le désir de la fête n'est pas éteint dans le cœur du grand Roi. Rappelez-vous le bon père qui accueille son fils prodigue : « il faut faire la fête », « on tue le veau gras », on danse car « mon fils qui était mort est vivant, il était perdu et le voici retrouvé ». Ce sont des images produites par le cœur de Jésus. C'est son imaginaire à lui ! Notez que dans les trois paraboles de ces trois dimanches consécutifs il y a chaque fois le fils. Mais l'histoire rebondit : « Allez donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous rencontrerez, invitez-les au repas des noces ». Résultat : « Et la salle de noces fut remplie de convives » ! Dieu veut la fête !
Vous connaissez sans doute la mystique anglaise du début du quinzième siècle, Julian de Norwich. Quand elle avait 33 ans, elle eut un moment assez exceptionnel de rencontre avec le Christ en croix. A un moment donné le Christ lui demande aimablement si elle veut voir sa plaie dans le côté, oui y entrer du regard. Elle acquiesce et voilà qu'elle entre du regard par cet espace étroit pour découvrir une énorme salle de fête toute lumineuse et réunissant des hommes et des femmes de toutes les générations depuis la création du monde... Remarquable vision de ce qui habite le cœur même de notre Seigneur alors qu'il est saisi au moment de sa mort en croix...
Et ce n'est pas fini : notre parabole connaît un dernier épisode ! « Voilà que le roi entra pour voir les convives ». Oui, il s'agira de se trouver auprès de lui, dans un face à face tout direct. Or voilà que se présente quelqu'un qui, dit-on, n'a pas la robe de circonstance, le vêtement de noces ! Il vient aux noces mais n'est pas habillé comme il se devrait ! Le vêtement est l'expression de la personne, ses actes, ses œuvres, sa vie effective. Elle n'est pas au diapason du mariage du Fils du Roi avec son Epouse. Cela est inconvenant ! Le voilà irrémédiablement rejeté dehors - « là seront des pleurs et des grincements de dents »... On est effrayé. La fête est grave, très sérieuse, elle coïncide avec un jugement ultime sur toute vie accomplie. Venez à la fête, certes, mais supportez que vous serez jugés. Fête et jugement à l'extrémité de l'histoire, coïncident. « Matthieu est sérieux ! » à chaque page il y a une référence au jugement : « l'un sera pris l'autre laissé ».
Bien chers amis, la bible elle-même nous offre aujourd'hui un vin fort, capiteux, et oserons-nous le boire jusqu'à la fin. « Pouvez-vous boire la coupe que je dois boire ? »
Nous allons communier à la table des noces : « Heureux les invités au repas de noces de l'Agneau » ! Oui, allons-y mais humblement, pauvrement, présentant nos mains comme un trône pour le grand roi, dira saint Cyrille de Jérusalem. Rien de banalisé, comme une pratique de routine : si nous mangeons et buvons sans y discerner le corps du Christ, nous communions à notre propre condamnation, est le rappel sérieux de saint Paul aux Corinthiens. Fêtons avec des cœurs humbles et purs et nous ne succomberons pas au Jugement divin. Une fête sans fin se poursuivra au-delà des larmes et au-delà des deuils, une fête victorieuse de la mort, au nom de Jésus, le fils bien-aimé qui s'est donné jusqu'à l'extrême.
Le Seigneur de l'univers préparera pour tous les peuples, sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés. Sur cette montagne, il fera disparaître le voile de deuil qui enveloppe tous les peuples et le linceul qui couvre toutes les nations. Il fera disparaître la mort pour toujours. Le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous les visages, et par toute la terre il effacera l'humiliation de son peuple. Le Seigneur a parlé.
Et ce jour-là, on dira : « Voici notre Dieu, en lui nous espérions, et il nous a sauvés ; c'est lui le Seigneur, en lui nous espérions ; exultons, réjouissons-nous : il nous a sauvés ! » Car la main du Seigneur reposera sur cette montagne.
- Parole du Seigneur.
Is 25, 6-10a
Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien. Sur des prés d'herbe fraîche, il me fait reposer.
Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre ; il me conduit par le juste chemin pour l'honneur de son nom.
Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi, ton bâton me guide et me rassure.
Tu prépares la table pour moi devant mes ennemis ; tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante.
Grâce et bonheur m'accompagnent tous les jours de ma vie ; j'habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours.
Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6
Frères, je sais vivre de peu, je sais aussi être dans l'abondance. J'ai été formé à tout et pour tout : à être rassasié et à souffrir la faim, à être dans l'abondance et dans les privations. Je peux tout en celui qui me donne la force. Cependant, vous avez bien fait de vous montrer solidaires quand j'étais dans la gêne. Et mon Dieu comblera tous vos besoins selon sa richesse, magnifiquement, dans le Christ Jésus.
Gloire à Dieu notre Père pour les siècles des siècles. Amen.
- Parole du Seigneur.
Ph 4, 12-14.19-20
En ce temps-là, Jésus se mit de nouveau à parler aux grands prêtres et aux pharisiens, et il leur dit en paraboles : « Le royaume des Cieux est comparable à un roi qui célébra les noces de son fils. Il envoya ses serviteurs appeler à la noce les invités, mais ceux-ci ne voulaient pas venir. Il envoya encore d'autres serviteurs dire aux invités : ?Voilà : j'ai préparé mon banquet, mes b?ufs et mes bêtes grasses sont égorgés ; tout est prêt : venez à la noce.' Mais ils n'en tinrent aucun compte et s'en allèrent, l'un à son champ, l'autre à son commerce ; les autres empoignèrent les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent. Le roi se mit en colère, il envoya ses troupes, fit périr les meurtriers et incendia leur ville. Alors il dit à ses serviteurs : ?Le repas de noce est prêt, mais les invités n'en étaient pas dignes. Allez donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous trouverez, invitez-les à la noce.' Les serviteurs allèrent sur les chemins, rassemblèrent tous ceux qu'ils trouvèrent, les mauvais comme les bons, et la salle de noce fut remplie de convives.
- Acclamons la Parole de Dieu.
Mt 22, 1-10