Une homélie de fr. Pierre de Béthune
Voici encore un évangile énigmatique. Généralement, les paraboles que Jésus enseigne sont des invitations à croire et à agir en conséquence. Mais rien de tel ici, dans ce qu'on appelle 'la parabole des vignerons homicides' qui est plutôt une annonce, une prémonition de ce qui va arriver : « le Royaume va être transféré à un peuple qui lui fera produire du fruit ». Comment entendre cette parabole ? J'ai consulté plusieurs commentaires : ils se contredisent. Certains vont même jusqu'à dire que Jésus n'a jamais pu dire cela. Le Père Romain a, parait-il, écrit une thèse de 450 pages sur le sujet, mais je ne l'ai pas retrouvée.
J'ai alors été voir la première lecture qui raconte aussi une histoire de vigne, une vigne qui représente le peuple choisi. De fait, il est souvent question de vignes dans la bible. Oui, plus de cent fois ! comme j'ai pu le vérifier dans une concordance. Les anciens Hébreux aiment parler de la vigne et du vigneron, comme aussi du berger et de son troupeau. C'est que la vigne représente une plante précieuse. Quand les prophètes, comme Isaïe ici, veulent illustrer la sollicitude du Seigneur pour son peuple, ils décrivent le soin qu'il prend à soigner sa vigne. Dans notre parabole, nous voyons aussi comment le maître du domaine fait tout ce qu'il faut pour le développement de sa vigne. Je crois donc qu'en regardant dans cette parabole, la façon de faire du maître de la vigne nous apprendrons beaucoup sur la façon dont Dieu s'occupe de son peuple. Ce n'est pas là, comme on dit, la 'pointe' de cette parabole, mais c'en est une composante importante, et très belle.
Nous voyons en effet que le maitre de la vigne fait non seulement tout ce qu'il peut pour que sa vigne rapporte du fruit, mais il va même jusqu'à prendre des risques. Il a finalement envoyé son fils. Et on sait ce qu'ils ont fait de son fils : ils l'ont jeté hors de la vigne et l'ont tué. Oui, nous savons, comme dit Jésus- lui-même dans l'évangile selon saint Jean : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a envoyé son Fils, son unique ». Parce qu'il ne veut pas seulement qu'on lui obéisse, il veut qu'on lui fasse confiance, qu'on l'aime en retour et « que tout homme qui croit en lui, librement, ait la vie, la vie éternelle. »
Mes sœurs, mes frères, notre Dieu est un Dieu qui prend des risques. Toute l'histoire sainte est une suite de prises de risques. Il a commencé par risquer de créer des hommes. Il n'a pas voulu uniquement créer des merveilleuses créatures, comme on en voit dans les forêts, et même ici dans nos bois, des créatures qui font sa joie, selon leur espèce, comme dit la Genèse, les unes plus merveilleuses que les autres, obéissantes aux lois de leur espèce. Mais il a créé l'homme et la femme libres. Et on sait tout ce qu'ils ont fait de cette liberté. La Bible raconte comment Dieu a souvent été déçu, découragé de devoir supporter un peuple qui profitait de sa liberté pour faire n'importe quoi. Les prophètes évoquent toutes ces initiatives de Dieu, ses tentatives plus ou moins heureuses, en faveur du peuple qu'il a choisi.
Qui donc est Dieu pour nous aimer ainsi ? Pourquoi une telle patience, une telle insistance. Il est Tout-Puissant, il pouvait créer des personnes dociles, obéissantes. Mais il n'a que faire des soumissions, des prosternations d'esclaves. Il veut rencontrer de hommes debout. C'est pour cela qu'il a risqué de les créer libres. Libres de se révolter, libres d'aimer, libres de l'aimer en retour.
Il a créé les humains capables non seulement de résilience, de renouvellement, de créativité, mais aussi et surtout d'amour. Et l'amour ne grandit que dans un engagement, confiant, audacieux. La confiance est toujours un risque ; les parent le savent bien avec leurs enfants ! et aussi les amis, les amoureux. Il y a un proverbe qui le dit clairement : « Ce que tu risques révèle ce que tu aimes ».
Il est vrai qu'aujourd'hui on a peur des risques. Tout change tellement vite qu'on ne fait plus facilement confiance au lendemain. On se méfie surtout des engagements irrévocables, comme un choix de vie pour les 50 ans à venir, le mariage ou les vœux de religion. Mais même à plus petite échelle, le risque est vu comme un danger et l'engagement est toujours vu comme une perte de liberté. Notre mentalité a plutôt tendance à chercher en tout l'assurance-tout-risque...
Ce n'est pas le lieu pour développer une telle réflexion sur notre société. Je veux m'en tenir ici à l'évangile.
Puisque Dieu a tant aimé le monde qu'il a risqué de donner son Fils, son unique, pourquoi ne risquerions-nous pas, nous aussi, comme en retour, d'écouter ce que ce Fils nous dit dans l'évangile, pour aimer davantage ?
Or vous savez que l'évangile est un livre dangereux. Quand nous l'ouvrons, nous entendons des appels à changer, à nous convertir encore et encore... Donc attention ! Si nous acceptons de quand-même le regarder en face et d'y entendre Jésus nous interpeler personnellement, nous courons un grand risque. Mais c'est un beau risque. C'est le risque de découvrir de nouvelles dimensions à notre vie.
Heureusement nous sommes toujours libres de prendre ce risque, parce que l'évangile n'impose rien ; il ne fait que proposer. En effet, Jésus est venu pour 'accomplir la Loi', et nous faisons bien de respecter et d'accomplir la Loi. Mais il est évident que nous ne pourrons jamais 'accomplir' l'évangile ! Il dépasse nos possibilités ; il reste toujours un horizon, un appel. Nous ne pouvons qu'y répondre, librement, autant que nous pouvons. Bien sûr, comme il nous dépasse tellement, nous sommes aussi tentés de conclure que cela ne nous concerne pas. Nous pouvons nous dire que c'est un texte très ancien, et, comme on sait, la façon de parler d'alors était souvent exagérée, excessive. Il ne faut pas prendre tout ça à la lettre ! Soit ! nous pouvons toujours échapper à l'évangile.
Mais, si nous marchons humblement sur ce chemin que Jésus nous propose, nous découvrons que nous pouvons aller plus loin que nous pensions. Nous pouvons aller à la rencontre de ce Dieu qui se risque, nous pouvons nous exposer avec confiance à la proposition de l'évangile, l'appel à nous risquer à sa suite, pour aimer davantage.
Oui, mes frères, mes sœurs, Pour me résumer je dirais que nous faisons bien, encore et encore, de 'risquer l'évangile', comme on risque l'ascension d'une belle montagne escarpée. Ça en vaut la peine.
Je veux chanter pour mon ami le chant du bien-aimé à sa vigne.
Mon ami avait une vigne sur un coteau fertile. Il en retourna la terre, en retira les pierres, pour y mettre un plant de qualité. Au milieu, il bâtit une tour de garde et creusa aussi un pressoir. Il en attendait de beaux raisins, mais elle en donna de mauvais.
Et maintenant, habitants de Jérusalem, hommes de Juda, soyez donc juges entre moi et ma vigne ! Pouvais-je faire pour ma vigne plus que je n'ai fait ? J'attendais de beaux raisins, pourquoi en a-t-elle donné de mauvais ? Eh bien, je vais vous apprendre ce que je ferai de ma vigne : enlever sa clôture pour qu'elle soit dévorée par les animaux, ouvrir une brèche dans son mur pour qu'elle soit piétinée. J'en ferai une pente désolée ; elle ne sera ni taillée ni sarclée, il y poussera des épines et des ronces ; j'interdirai aux nuages d'y faire tomber la pluie.
La vigne du Seigneur de l'univers, c'est la maison d'Israël. Le plant qu'il chérissait, ce sont les hommes de Juda. Il en attendait le droit, et voici le crime ; il en attendait la justice, et voici les cris.
- Parole du Seigneur.
Is 5, 1-7
La vigne que tu as prise à l'Égypte, tu la replantes en chassant des nations. Elle étendait ses sarments jusqu'à la mer, et ses rejets, jusqu'au Fleuve.
Pourquoi as-tu percé sa clôture ? Tous les passants y grappillent en chemin ; le sanglier des forêts la ravage et les bêtes des champs la broutent.
Dieu de l'univers, reviens ! Du haut des cieux, regarde et vois : visite cette vigne, protège-la, celle qu'a plantée ta main puissante.
Jamais plus nous n'irons loin de toi : fais-nous vivre et invoquer ton nom ! Seigneur, Dieu de l'univers, fais-nous revenir ; que ton visage s'éclaire, et nous serons sauvés.
Ps 79 (80), 9-12, 13-14, 15-16a, 19-20
Frères, ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, priez et suppliez, tout en rendant grâce, pour faire connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu'on peut concevoir, gardera vos c?urs et vos pensées dans le Christ Jésus. Enfin, mes frères, tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur, tout ce qui est digne d'être aimé et honoré, tout ce qui s'appelle vertu et qui mérite des éloges, tout cela, prenez-le en compte. Ce que vous avez appris et reçu, ce que vous avez vu et entendu de moi, mettez-le en pratique. Et le Dieu de la paix sera avec vous.
- Parole du Seigneur.
Ph 4, 6-9
En ce temps-là, Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple : « Écoutez cette parabole : Un homme était propriétaire d'un domaine ; il planta une vigne, l'entoura d'une clôture, y creusa un pressoir et bâtit une tour de garde. Puis il loua cette vigne à des vignerons, et partit en voyage. Quand arriva le temps des fruits, il envoya ses serviteurs auprès des vignerons pour se faire remettre le produit de sa vigne. Mais les vignerons se saisirent des serviteurs, frappèrent l'un, tuèrent l'autre, lapidèrent le troisième. De nouveau, le propriétaire envoya d'autres serviteurs plus nombreux que les premiers ; mais on les traita de la même façon. Finalement, il leur envoya son fils, en se disant : ?Ils respecteront mon fils.' Mais, voyant le fils, les vignerons se dirent entre eux : ?Voici l'héritier : venez ! tuons-le, nous aurons son héritage !' Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent. Eh bien ! quand le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? » On lui répond : « Ces misérables, il les fera périr misérablement. Il louera la vigne à d'autres vignerons, qui lui en remettront le produit en temps voulu. » Jésus leur dit : « N'avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d'angle : c'est là l'?uvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ! Aussi, je vous le dis : Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits. »
- Acclamons la Parole de Dieu.
Mt 21, 33-43