Une homélie de fr. Pierre de Béthune
La Transfiguration est d'abord un récit. Ce jour-là, Jésus emmène trois de ses disciples dans un lieu à l'écart, pour qu'ils participent à sa prière. Depuis plusieurs mois, ils l'avaient suivi, parce qu'ils étaient fascinés par sa personne mystérieuse, et ils le connaissaient bien dans sa vie quotidienne. Mais là, sur la montagne, ils ont pu participer à sa prière, entrer dans son intimité avec son Père. Ils ont eu la vision d'un Jésus lumineux, rayonnant. En fait, ils ont en quelque sorte participé à l'expérience initiale de Jésus, lors de son baptême dans le Jourdain, quand les cieux se sont ouverts et qu'il a réalisé qu'il était le Fils bien-aimé du Père. Cette fois-ci les apôtres ont compris que Jésus accomplissait vraiment l'œuvre de Moïse et réalisait ce que les prophètes avaient annoncé. C'est là enfin qu'ils ont entendu clairement la voix du Père : « Écoutez-le ! » Jamais auparavant, ils n'avaient fait une telle expérience éblouissante... et puis soudain, plus rien, enfin « Jésus seul », Jésus tout court... Redescendus de la montagne, ils ont continué à vivre avec lui, mais, dans le compagnonnage quotidien, ils pouvaient désormais discerner son vrai visage, comme transfiguré. Plus tard, ils n'ont pas pu oublier qu'il était toujours le Fils bien-aimé, même quand les trois mêmes disciples, Pierre, Jacques et Jean, l'ont accompagné dans son agonie, au Jardin des Oliviers. Plusieurs années après, comme en témoigne l'épitre de saint Pierre que nous avons entendue, cette scène est restée un moment important dans la mémoire de l'église.
Aujourd'hui encore, la fête de la Transfiguration est une invitation à chercher le visage du Seigneur dans la prière et la contemplation, pour voir toujours mieux son visage de gloire, plein de grâce et de vérité. Car alors, nous pourrons voir 'le Seigneur de la gloire' dans le Christ souffrant, crucifié. C'est cela qui est écrit sur l'icône de la croix : ho kyrios tis doxis. Et c'est cela notre foi : la gloire de Dieu sur le visage du Christ, son Fils bien-aimé. En écrivant son icône, inspirée par celle qui a interpellé saint François d'Assise, l'iconographe Giuseppe Pappetti nous a fait voir que même dans sa Passion Jésus a gardé son visage de bonté qui apporte la paix. Ce n'est plus une lumière éblouissante, aveuglante, comme dans l'autre icône du même iconographe, mais le rayonnement d'une grande paix.
En méditant pour vous cet évangile ces jours-ci, et je me suis demandé quel était le message la Transfiguration nous apportait aujourd'hui. C'est bien sûr d'abord un encouragement sur notre chemin d'imitation de Jésus-Christ, en annonçant déjà d'avance sa gloire à venir. C'est pour cela que cet épisode a été choisi pour le deuxième dimanche du Carême, comme une image anticipée la Résurrection.
Mais je pense que si les évangélistes ont retenu cet épisode, ce n'est pas seulement à titre documentaire ou attestataire. Car les évangiles ne sont jamais que des narrations et des attestations. Du début à la fin, ils sont des interpellations, des invitations à la conversion. Les premiers mots de Jésus sont précisément : « Convertissez-vous ! » C'est la clef de lecture qui nous est donnée pour tous les évangiles . Or 'se convertir', c'est se tourner, se retourner vers le Père, et d'abord vers Jésus lui-même. Si donc nous méditons les évangiles, c'est pour entrer dans ce mouvement. C'est pourquoi la Transfiguration est aussi un appel à mieux suivre Jésus. Saint Paul l'a bien compris quand il écrit : « Nous tous, par notre conversion au Seigneur, nous reflétons la gloire du Seigneur, et nous sommes transfigurés en cette même image. » Et déjà le psaume le révélait : « Qui regarde vers lui resplendira. »
Oui, mes sœurs, mes frères, tel est le programme de la Transfiguration : regarder le Seigneur pour resplendir - pas pour cela éblouir, mais apporter un reflet de sa tendresse. Comment s'y prendre ? Bien sûr, aujourd'hui nous ne voyons que 'Jésus seul', - et encore par l'intermédiaire de textes ! Mais nous savons, comme le précise l'évangéliste Marc, que c'est « Jésus seul avec nous », car il est 'avec nous jusqu'à la fin du monde'. C'est pourquoi, puisque nous ne sommes pas que les spectateurs de cette scène merveilleuse, nous sommes tous invités à nous laisser irradier par son amour, pour que se révèle notre vrai visage, celui que nous avons en sa présence, devant lui. Nous sommes invités à entrer avec lui, d'une façon ou d'une autre, dans cette nuée lumineuse et cette communion intime et glorieuse avec son Père.
Mais nous ne pouvons pas nous contenter de cette grâce personnelle, et dire avec l'apôtre Pierre : « Il est heureux d'être ici », installons-nous indéfiniment sur cette montagne ! Non ! Cette conversion au Seigneur n'est pas seulement pour notre propre édification et transformation. Après avoir prié et contemplé le Seigneur, après avoir reçu sa lumière, nous sommes appelés à regarder de la même façon le visage de nos frères et de nos sœurs, pour y discerner, pour y réveiller, - et parfois même pour leur révéler - leur vraie beauté. Malgré les défigurations d'une vie dure, d'une maladie ou de l'âge, nous pouvons voir à la clarté de leurs yeux cette lumière que Dieu y a mis. C'est souvent le plus beau service que nous pouvons leur rendre. Mais pour cela il faut cesser de 'dévisager' et toiser nos frères et sœurs, et apprendre à 'envisager' tout ce qu'ils sont au plus vrai, ce qu'ils ont souffert, ce qu'ils ont découvert, ce qu'ils espèrent. Alors nous pourront encore rendre grâce pour eux, et prier.
Oui, la Transfiguration n'est pas que la célébration d'un évènement merveilleux de ce temps-là ; cette fête est un appel à transfigurer notre vie, notre environnement.
La nuit, au cours d'une vision, moi, Daniel, je regardais : des trônes furent disposés, et un Vieillard prit place ; son habit était blanc comme la neige, et les cheveux de sa tête, comme de la laine immaculée ; son trône était fait de flammes de feu, avec des roues de feu ardent. Un fleuve de feu coulait, qui jaillissait devant lui. Des milliers de milliers le servaient, des myriades de myriades se tenaient devant lui. Le tribunal prit place et l'on ouvrit des livres.
Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d'homme ; il parvint jusqu'au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite.
- Parole du Seigneur.
OU BIEN :
Dn 7, 9-10.13-14
Le Seigneur est roi ! Exulte la terre ! Joie pour les îles sans nombre ! Ténèbre et nuée l'entourent, justice et droit sont l'appui de son trône.
Quand ses éclairs illuminèrent le monde, la terre le vit et s'affola ; les montagnes fondaient comme cire devant le Seigneur, devant le Maître de toute la terre.
Les cieux ont proclamé sa justice, et tous les peuples ont vu sa gloire. Tu es, Seigneur, le Très-Haut sur toute la terre, tu domines de haut tous les dieux.
Ps 96, 1-2, 4-5, 6.9
Bien-aimés, ce n'est pas en ayant recours à des récits imaginaires sophistiqués que nous vous avons fait connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, mais c'est pour avoir été les témoins oculaires de sa grandeur. Car il a reçu de Dieu le Père l'honneur et la gloire quand, depuis la Gloire magnifique, lui parvint une voix qui disait : Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j'ai toute ma joie. Cette voix venant du ciel, nous l'avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte. Et ainsi se confirme pour nous la parole prophétique ; vous faites bien de fixer votre attention sur elle, comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur jusqu'à ce que paraisse le jour et que l'étoile du matin se lève dans vos c?urs.
- Parole du Seigneur.
2 P 1, 16-19
En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmena à l'écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s'entretenaient avec lui. Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il parlait encore, lorsqu'une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d'une grande crainte. Jésus s'approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! » Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul.
En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l'homme soit ressuscité d'entre les morts. »
- Acclamons la Parole de Dieu.
Mt 17, 1-9