Une homélie de fr. Pierre de Béthune
Les paroles que nous avons entendues sont parmi les plus précieuses de l'évangile. Les disciples qui nous les ont transmises ont surpris Jésus dans sa prière : « Oui, Père, c'est ainsi que tu l'as voulu dans ta bonté... » Le Père Jacques Dupont appelait ce passage le 'Magnificat de Jésus'. Et de fait, comme le choix de la première lecture l'indique, il s'agit d'un cri de joie. Dans le texte parallèle saint Luc précise qu'« en cet instant, Jésus exulta de joie sous l'action de l'Esprit Saint et dit : 'Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents, et de l'avoir révélé aux tout-petits ». Marie, déjà, dans son Magnificat, chantait le Seigneur « qui renverse les puissants de leurs trônes et élève les humbles. Il comble de biens les affamés et renvoie les riches les mains vides ». Ici aussi, Jésus se réjouit en proclamant un renversement des situations : ce sont les sages et les habiles qui sont aveugles et exclus, tandis que le Père révèle le Mystère aux tout-petits. Oui, telle est la joie de Jésus, devant la bonté de son Père pour les petits et les pauvres, - telle est la Bonne Nouvelle.
Mais on peut se poser ici une première question : mes frères, mes sœurs, est-ce que ce qu'il dit là est aussi une 'bonne nouvelle' pour nous ? Car enfin, comme l'écrivait un ami théologien, il semble bien que « la Bonne Nouvelle n'est bonne que pour les pauvres »... et nous là-dedans ? De fait, l'exigence de la pauvreté est centrale et même primordiale dans l'évangile. Pauvreté de cœur, humilité, esprit d'enfance ce sont là les conditions pour accéder au Royaume. À ceux qui veulent le suivre Jésus précise : « Va ! vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres, et puis, suis-moi ! » « Si vous ne devenez pas comme ces enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux. » Mais alors, comment nous situer face à une telle exigence ?
Remarquons d'abord que si Jésus se réjouit, ce n'est pas seulement parce qu'il voit les riches repartir les mains vides. Il exulte de joie quand il voit se développer la communication, la communion avec Dieu, son Père, qui lui révèle tous les Mystères, et aussi la communion avec les hommes et entre eux. Aux riches, il reproche précisément de créer des discriminations, des séparations. C'est pourquoi l'exigence de pauvreté et d'humilité est un préalable. Mais sa préoccupation la plus grande est l'accueil, la communion.
En effet, au cœur de cette préoccupation il y a cette relation toute particulière avec son Père, telle qu'il exprime dans sa prière : « Tout m'a été remis par mon Père ; ... personne ne connait le Père sinon le Fils, - et celui à qui le Fils veut le révéler. » L'évangéliste Jean a retenu une prière analogue : « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu'ils soient en nous eux aussi ! »
Au plus vital de la Bonn Nouvelle, il y a cette expérience de Jésus qui a reconnu en Dieu son Père, le Père miséricordieux, mais aussi, - et c'est essentiel pour nous, - sa volonté de nous le révéler.
Ce message peut nous sembler encore assez vague, sinon irréaliste. Mais la suite est explicite : « Venez à moi ! venez à ma suite ! » Jésus ne garde pas pour lui seul cette communion intime de son Père. Il veut communiquer autour de lui la vie du Père miséricordieux, et il dit : « Devenez mes disciples ! » Il veut nous introduire peu à peu au Mystère de Dieu, et il indique un chemin, ouvert à tous et à toutes, pour devenir « doux et humble de cœur », pour entrer dans la béatitude des pauvres de cœur et des doux, même et surtout si nous « peinons sous le poids du fardeau ». Nous ne sommes peut-être pas particulièrement doués pour accueillir tout l'évangile, mais nous pouvons devenir doux et humbles, devenir des disciples. 'Il nous prend en chemin', comme dirait le Père Jean-Yves.
Bien sûr, son chemin passe nécessairement par un appauvrissement, une libération des richesses qui entravent la communication. Mais c'est parce que c'est un chemin d'accueil et de rencontre. Accueil de nos frères et sœurs, accueil de Dieu, en un même mouvement. Tout l'évangile ne raconte que ça. Et nous invite à entrer à notre tour dans ce mouvement.
Nous pouvons donc aborder maintenant les dernières lignes de cet évangile : « Prenez sur vous mon joug, un joug facile, un fardeau léger ». Qu'est-ce que ce joug, et d'abord qu'est-ce qu'un joug ? C'est une pièce de bois posée sur la nuque des bêtes qui tirent une charrette, pour les faire marcher droit et ensemble. Au sens figuré le joug est associé à la loi sous laquelle nous devons marcher droit. La Loi judaïque, telle qu'elle avait été élaborée développée par la casuistique des derniers siècles, était devenue tatillonne, insupportable. C'est pourquoi Jésus a voulu nous libérer de ce joug qui asservit et blesse même. L'évangile qu'il annonce n'est donc pas un code de bonne conduite, une loi, sinon une loi de liberté. Non ! Il est un appel pour qui sait l'entendre, un appel à rencontrer et accueillir, et à tout faire pour assurer ce lien efficace. Aussi, en fait de joug, c'est plutôt lui qui nous porte et nous permet d'avancer, d'avancer ensemble, sous un même joug évangélique.
Telle est la Bonne Nouvelle, une bonne nouvelle pour tous ceux qui sont en chemin, à la suite du Christ. Car il nous a pris en chemin ; nous marchons, nous sommes plus ou moins avancés, plus ou moins libérés de ce qui nous entrave, mais nous savons que nous devenons ainsi peu à peu de ses disciples.
C'est pourquoi aussi nous recevons un peu de cette joie qui comblait Jésus et le faisait exulter sous l'action de l'Esprit Saint. Une joie qui nous fait aussi proclamer la louange de notre Père, le Seigneur du ciel et de la terre. Sans oublier tous nos frères et sœurs qui peinent sous le poids du fardeau, nous allons célébrer l'eucharistie du Seigneur qui offre à tous sa paix véritable. Nous commençons donc par la prière.
Ainsi parle le Seigneur : « Exulte de toutes tes forces, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici ton roi qui vient à toi : il est juste et victorieux, pauvre et monté sur un âne, un ânon, le petit d'une ânesse.
Ce roi fera disparaître d'Éphraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat ; il brisera l'arc de guerre, et il proclamera la paix aux nations. Sa domination s'étendra d'une mer à l'autre, et de l'Euphrate à l'autre bout du pays. »
- Parole du Seigneur.
Za 9, 9-10
Je t'exalterai, mon Dieu, mon Roi, je bénirai ton nom toujours et à jamais ! Chaque jour je te bénirai, je louerai ton nom toujours et à jamais.
Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d'amour ; la bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses ?uvres.
Que tes ?uvres, Seigneur, te rendent grâce et que tes fidèles te bénissent ! Ils diront la gloire de ton règne, ils parleront de tes exploits.
Le Seigneur est vrai en tout ce qu'il dit, fidèle en tout ce qu'il fait. Le Seigneur soutient tous ceux qui tombent, il redresse tous les accablés.
Ps 144 (145), 1-2, 8-9, 10-11, 13cd-14
Frères, vous, vous n'êtes pas sous l'emprise de la chair, mais sous celle de l'Esprit, puisque l'Esprit de Dieu habite en vous. Celui qui n'a pas l'Esprit du Christ ne lui appartient pas. Mais si l'Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d'entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. Ainsi donc, frères, nous avons une dette, mais elle n'est pas envers la chair pour devoir vivre selon la chair. Car si vous vivez selon la chair, vous allez mourir ; mais si, par l'Esprit, vous tuez les agissements de l'homme pécheur, vous vivrez.
- Parole du Seigneur.
Rm 8, 9.11-13
En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l'as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l'as voulu ainsi dans ta bienveillance. Tout m'a été remis par mon Père ; personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler.
Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de c?ur, et vous trouverez le repos pour votre âme. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger. »
- Acclamons la Parole de Dieu.
Mt 11, 25-30