Une homélie de fr. Pierre de Béthune
« Parthes, Mèdes, Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, des bords de la Mer Noire, de la province d'Asie, de la Phrygie, de la Pamphylie, de l'Égypte et de la Lybie proche de Cyrène, Romains résidant ici, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes » Ce qui apparait d'abord à la Pentecôte est cette diversité, ce rassemblement providentiel que l'évangéliste Luc rappelle. Tous ces gens ont vécu une expérience décisive ; ils vont retourner dans leurs pays respectifs et y apporter le virus de l'évangile. Ils sont devenus témoins de cet évangile, « depuis Jérusalem, jusqu'aux extrémités de la terre », comme l'écrit encore Luc. Et de fait, en très peu de temps la Bonne Nouvelle parviendra ainsi aux extrémités du monde connu, et jusqu'en Éthiopie et aux côtes du Malabar, si l'on admet que l'apôtre Thomas y est allé en personne.
La Pentecôte inaugure en effet l'universalisme évangélique : « Tous, juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés dans l'unique Esprit, pour former un seul corps. » Il s'agit là d'une des caractéristiques les plus nettes de l'évangile, en opposition à l'exclusivisme de nombreux juifs de cette époque. Cette ouverture sur le vaste monde est le premier don de l'Esprit. On pourrait croire qu'aujourd'hui, grâce à tous les moyens de communications actuels, nous sommes enfin ouverts et présents au monde entier. Mais il ne faut pas confondre universalisme et cosmopolitisme. Le cosmopolitisme est l'illusion de l'unité, parce qu'il invite à être tous semblables, et surtout à se croire partout chez soi. Mais tous ceux que rassemble l'Esprit de Jésus gardent leur personnalité. L'Esprit n'est pas venu pour nous apprendre l'esperanto, - et cependant chacun l'entend dans sa langue... C'est que la communion est à un autre niveau !
C'est ici que s'impose l'autre don de l'Esprit qui se manifeste à la Pentecôte. Il apparait en en effet que la source de l'universalisme n'est pas une uniformité, mais l'intensité de l'accueil mutuel, la force de l'unanimité. Ce n'est que la cohésion de notre assemblée, la force de notre communion, qui peut faire rayonner l'évangile et le répandre autour de nous.
C'est ce que l'évangile d'aujourd'hui précise. Nous avons entendu que Jésus nous apporte la paix : « La paix soit avec vous ! ». Et c'est cette paix que nous devons répandre autour de nous, parce qu'il nous envoie. Mais pour cela, il nous demande de recevoir l'Esprit, l'Esprit qui nous donne la force et le goût de pardonner, de remettre les péchés. De fait le pardon est ce qui assure la cohésion de toute communauté. Il ne s'agit pas seulement de pardonner des fautes graves, précises, mais de développer cette attitude d'accueil inconditionnel qui est le ciment de toute communauté. Nous avons toujours à recevoir nos frères et sœurs comme ils sont, et nous leur demandons aussi de nous pardonner de n'être que ce que nous sommes.
Cette allusion à l'unité et l'unanimité est en tout cas frappante en ces passages. Déjà à l'Ascension, il est dit, dans les Actes les apôtres, que « les disciples étaient réunis ». Durant les dix jours suivants, en attendant la venue de l'Esprit, « tous unanimes, ils étaient assidus à la prière ». Et le jour de la Pentecôte, « ils se trouvaient réunis tous ensemble ». Aussi, comme on le verra, ce qui caractérisera la première communauté des baptisés est encore cette unanimité dans le partage du pain et la prière.
Comme nous le voyons dans les lectures reçues aujourd'hui, les deux dons du Saint Esprit, l'ouverture et l'unité vont toujours ensemble : pas de rayonnement sans une vraie unanimité.
Mais il y a une troisième dimension à notre vie que l'Esprit veut également habiter et même, en quelque sorte, féconder. C'est la souffrance, la compassion dans souffrance, et la solidarité. Et cela aussi est rappelé dans les textes. Revenons pour cela encore une fois à l'évangile selon saint Jean.
En ce jour de Pentecôte, cinquante jours après Pâques, l'évangile proposé par la liturgie nous ramène le soir de ce jour de Pâques. Et, pour bien le comprendre, il faut même remonter un peu plus haut dans le temps. C'est sur la croix, en mourant, que Jésus a « remis son esprit ». Il nous a « aimé jusqu'à l'extrême » notait déjà l'évangéliste en racontant le dernier repas avec ses disciples. En mourant, il nous donnait, il nous transmettait, cet amour extrême. Notre icône illustre très bien cela : on y voit le Christ en croix, le côté transpercé, d'où jaillit son amour extrême, sous la forme de la colombe de l'Esprit, et qui vient se poser sur Marie, figure de l'Église et donc sur chacun de nous. En effet, son amour extrême est aujourd'hui son Esprit répandu sur nous tous. En soufflant sur ses disciples, le soir de Pâques, c'est bien ce souffle, cet Esprit de paix, de pardon, d'amour extrême que nous transmettait le Christ qui, notez-le, garde les stigmates de sa passion. Car la paix qu'il nous donne provient de ces plaies. Elle est toujours liée à la compassion, ce que notre pape François appelle 'interdépendance dans la vulnérabilité'.
Je ne vais pas continuer à énumérer les dons de l'Esprit. Il y en a sept, dit-on, et même plus : ils sont innombrables. J'ai seulement voulu évoquer ces trois qui sont des façons de vivre comme le Christ. Ouverture généreuse, unanimité contagieuse ou grande compassion. Oui, ce sont là toutes de façons de nous laisser guider par l'Esprit de Jésus.
Mes frères, mes sœurs, laissons donc résonner en nous cet appel que Jésus adresse aujourd'hui à chacun de nous : « Recevez l'Esprit Saint ! » Oui ! Accueillons ce don, faisons de la place en nous pour ce don de l'Esprit d'amour extrême. Demandons à l'Esprit de Pentecôte de dilater notre cœur pour l'accueillir toujours plus pleinement.
Au cours de cette eucharistie nous appelons l'Esprit sur les dons que nous apportons à l'autel. Comme vous le savez, dans la prière eucharistique, il y a toujours une prière d''épiclèse', c'est une invocation de l'Esprit Saint sur les dons. Le célébrant dit : « Sanctifie ces offrandes en répandant sur elles ton Esprit ». Ces offrandes qu'il sanctifie, ce ne sont pas seulement le pain et le vin, mais aussi tout don que nous faisons, et finalement le don de nous-mêmes. Oui, grâce à l'Esprit, nous sommes ainsi associés à l'amour extrême de Jésus, pour être rassemblés en un seul corps à la louange de sa gloire. Grâce à lui, toute notre vie est une eucharistie, une offrande agréable à Dieu, pour le salut du monde. Alléluia !
Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière. Alors leur apparurent des langues qu'on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s'en posa une sur chacun d'eux. Tous furent remplis d'Esprit Saint : ils se mirent à parler en d'autres langues, et chacun s'exprimait selon le don de l'Esprit.
Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel. Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d'eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient. Dans la stupéfaction et l'émerveillement, ils disaient : « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans son propre dialecte, sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d'Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l'Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »
- Parole du Seigneur.
Ac 2, 1-11
Bénis le Seigneur, ô mon âme ; Seigneur mon Dieu, tu es si grand ! Quelle profusion dans tes ?uvres, Seigneur ! la terre s'emplit de tes biens.
Tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle : ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre.
Gloire au Seigneur à tout jamais ! Que Dieu se réjouisse en ses ?uvres ! Que mon poème lui soit agréable ; moi, je me réjouis dans le Seigneur.
Ps 103 (104), 1ab.24ac, 29bc-30, 31.34
Frères, personne n'est capable de dire : « Jésus est Seigneur » sinon dans l'Esprit Saint. Les dons de la grâce sont variés, mais c'est le même Esprit. Les services sont variés, mais c'est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c'est le même Dieu qui agit en tout et en tous. À chacun est donnée la manifestation de l'Esprit en vue du bien.
Prenons une comparaison : le corps ne fait qu'un, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu'un seul corps. Il en est ainsi pour le Christ. C'est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés pour former un seul corps. Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit.
- Parole du Seigneur.
1 Co 12, 3b-7.12-13
C'était après la mort de Jésus ; le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d'eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m'a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l'Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
- Acclamons la Parole de Dieu.
Jn 20, 19-23