Homélie du 8 avril 2023

Vigiles pascales de nuit

05:00

Une homélie de fr. Pierre de Béthune

Homélie :
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Nous célébrons Pâques à l'aurore, dans la pénombre, mais c'est dans la certitude que le jour viendra. Le prophète Osée voyait déjà ce jour de la venue du Seigneur dans son monde troublé, il disait : «  Son lever est aussi sûr que l'aurore.  »

Mes frères, mes sœurs, nous parcourons constamment ce chemin vers l'aurore, vers la lumière et la confiance. Chaque fête de Pâques est un relais, et l'occasion de recevoir une nouvelle force pour marcher et vivre en enfants de lumière.

Mais, en ce moment, au cœur de cette fête nous ne pouvons encore percevoir qu'un germe de message la Résurrection. L'évangile que nous avons entendu en raconte les premiers instants. Ils nous en révèlent cependant aussi le sens pour aujourd'hui. En méditant ce texte, je retiens surtout quatre mots qui révèlent le sens profond de la Résurrection.

Notons d'abord comment l'ange parle du Seigneur : «  Je sais, dit-il, que vous cherchez Jésus le Crucifié.  » En effet, désormais, le Seigneur est le crucifié, il porte les stigmates de sa Passion, comme l'évangéliste Jean le précise. Il est et il reste essentiellement celui qui a partagé le sort des plus pauvres. Plus exactement il s'est identifié à eux. Il est mort entre deux larrons. Il a connu le destin de tous ceux qui sont rejetés, dénigrés, exclus, supprimés. Tous les évangélistes ont tenu à décrire les nombreux épisodes de la Passion du Christ. Ils y détaillent toutes les trahisons, lâchetés et autres bassesses auxquelles sont exposés les pauvres et ceux qui les défendent. Si les évangélistes y consacrent six fois plus de place qu'aux récits de la Résurrection, ce n'est pas seulement, me semble-t-il, pour nous faire voir l'attitude pleine de patience de Jésus et pour nous inviter à contempler le 'Christ aux outrages', comme on aimait à le faire au Moyen-âge. C'est parce que cette fin tragique fait partie de sa destinée. Elle manifeste le cœur de son message : le Dieu qu'il annonce n'est pas celui qui confirme les puissants, mais celui qui est avec nous dans nos épreuves, aux lieux de rupture et de souffrance. Il n'y a pour Jésus de Résurrection que par ce passage à travers la souffrance et la croix, et même, comme le dit saint Paul, par cet 'anéantissement'.

Une deuxième expression complète ce message : Jésus est celui qui nous précède en Galilée et au-delà. Il nous précède toujours. Il n'est pas un personnage du passé ; mais un pionnier qui nous révèle jusqu'où l'amour peut aller. Il nous annonce que le Royaume qui vient est l'avenir de l'homme. Aussi notre veillée de prière, si chargée de souvenirs, est plus encore tournée vers cet avenir que Dieu prépare et dont la Résurrection est l'anticipation.

Mais nous ne faisons pas que marcher indéfiniment derrière Jésus. Paradoxalement, il est aussi celui qui vient à la rencontre des saintes femmes et leur dit : «  Je vous salue : Réjouissez-vous ! − Et elles de s'approcher et d'étreindre ses pieds en se prosternant devant lui.  » Si nous pouvons être des témoins de la Résurrection, c'est parce que nous pouvons, nous aussi, faire cette expérience d'une rencontre mystérieuse avec Jésus. C'est là, selon l'évangile, une troisième manière de réaliser le mystère de la Résurrection dans notre vie. Ce qui donne sens à notre vie est précisément le désir de cette rencontre, dans la prière, dans le service ou l'amitié. La foi en la Résurrection n'est pas l'invention d'une femme amoureuse, comme le disait Renan, ni la nostalgie de disciples frustrés, comme le pensent tant de nos contemporains. Elle est le fruit d'une histoire, l'histoire spirituelle de chacun de nous et de toute l'Église, où, de façons très diverses, nous avons reconnu le Seigneur sur notre chemin, et compris qu'il nous avait aimé le premier. Si étrange que cela puisse paraître à des esprits rationalistes, ce qui fait que nous sommes chrétiens est précisément l'expérience intime, suscitée par le Saint Esprit, que Jésus est vivant et qu'il est entré dans notre histoire personnelle. Aussi, comme dans les évangiles, la rencontre avec le Seigneur est toujours une reconnaissance mutuelle. Et une telle rencontre est déjà aussi une expérience de la Résurrection.

J'en arrive ainsi à une quatrième révélation. Le Christ vient au-devant des saintes femmes, il les salue ; elles le reconnaissent, − mais ensuite il les envoie : «  Allez annoncer à mes frères...  ». L'expérience de la Résurrection, la rencontre avec le Christ, si personnelle soient-elle, ne peut pas être gardée pour soi ; elle est toujours destinée à être communiquée et partagée. Elle débouche sur une ouverture nouvelle à tous les frères de Jésus. Et cette annonce ne se limite pas à énoncer la doctrine correcte de notre tradition chrétienne, concernant la Résurrection. En réalité nous ne pouvons annoncer que ce qui nous brûle intérieurement. Il ne s'agit de rien de moins que d'être les témoins de cet amour extrême que le Christ, le Serviteur, le Crucifié, a montré en toute sa vie et par sa mort, et dont tant de personnes sont les témoins, en continuant son œuvre de miséricorde et de salut. Habités par ce grand amour, nous découvrons alors que cette annonce résolue est elle-même une manifestation de la Résurrection, parce qu'elle est libérée de la crainte : c'est d'ailleurs le premier mot que Jésus dit à celles et ceux qu'il rencontre : «  Soyez sans crainte !  » Il y aura toujours des motifs d'avoir peur dans notre monde, et il ne faut pas être insouciants, mais, plus fondamentalement, oui, nous savons en qui nous avons mis notre foi, toute notre vie.

Quand alors nous sortirons de cette chapelle, et retournerons dans notre lieu de vie habituel, nous pourrons répandre autour de nous cette flamme intérieure, ravivée par la célébration de ces mystères. Les frères, mes sœurs, nous portons désormais cette conviction apaisée qu'avec la présence, la puissance et la grâce du Seigneur, nous pouvons nous 'lever', vivre de cette vie nouvelle reçue du Ressuscité, pour, à notre tour, 'relever', au besoin, nos frères et sœurs autour de nous. Comme l'annonçait le prophète Osée, en évoquant l'énergie vraiment solaire du Seigneur Jésus parmi nous, nous pouvons avoir confiance : «  son lever est aussi sûr que l'aurore  ».

 

Je n'ai pas caché ma face devant les outrages

- Parole du Seigneur.

Is 50, 4-9a

C'est pour toi que j'endure l'insulte, que la honte me couvre le visage : je suis un étranger pour mes frères, un inconnu pour les fils de ma mère. L'amour de ta maison m'a perdu ; on t'insulte, et l'insulte retombe sur moi.

L'insulte m'a broyé le c?ur, le mal est incurable ; j'espérais un secours, mais en vain, des consolateurs, je n'en ai pas trouvé. À mon pain, ils ont mêlé du poison ; quand j'avais soif, ils m'ont donné du vinaigre.

Mais je louerai le nom de Dieu par un cantique, je vais le magnifier, lui rendre grâce. Les pauvres l'ont vu, ils sont en fête : « Vie et joie, à vous qui cherchez Dieu ! » Car le Seigneur écoute les humbles, il n'oublie pas les siens emprisonnés.

68 (69), 8-10, 21-22, 31.33-34

Le Fils de l'homme s'en va, comme il est écrit ; mais malheureux celui par qui il est livré !

En ce temps-là, l'un des Douze, nommé Judas Iscariote, se rendit chez les grands prêtres et leur dit : « Que voulez-vous me donner, si je vous le livre ? » Ils lui remirent trente pièces d'argent. Et depuis, Judas cherchait une occasion favorable pour le livrer.

Le premier jour de la fête des pains sans levain, les disciples s'approchèrent et dirent à Jésus : « Où veux-tu que nous te fassions les préparatifs pour manger la Pâque ? » Il leur dit : « Allez à la ville, chez untel, et dites-lui : ?Le Maître te fait dire : Mon temps est proche ; c'est chez toi que je veux célébrer la Pâque avec mes disciples.? » Les disciples firent ce que Jésus leur avait prescrit et ils préparèrent la Pâque.

Le soir venu, Jésus se trouvait à table avec les Douze. Pendant le repas, il déclara : « Amen, je vous le dis : l'un de vous va me livrer. » Profondément attristés, ils se mirent à lui demander, chacun son tour : « Serait-ce moi, Seigneur ? » Prenant la parole, il dit : « Celui qui s'est servi au plat en même temps que moi, celui-là va me livrer. Le Fils de l'homme s'en va, comme il est écrit à son sujet ; mais malheureux celui par qui le Fils de l'homme est livré ! Il vaudrait mieux pour lui qu'il ne soit pas né, cet homme-là ! » Judas, celui qui le livrait, prit la parole : « Rabbi, serait-ce moi ? » Jésus lui répond : « C'est toi-même qui l'as dit ! »

- Acclamons la Parole de Dieu.

Mt 26, 14-25