Homélie du 6 avril 2023

Il les aima jusqu'au bout

Jeudi Saint

Une homélie de fr. Pierre de Béthune

Homélie :
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Faut-il encore des paroles après des gestes aussi parlants ?

Peut-être quelques réflexions pour situer dans notre propre vie quotidienne ce que nous avons entendu et vu. Nous risquons toujours de rester au niveau rituel qui est aussi un peu virtuel...

En ce jeudi saint nous célébrons en fait deux gestes de Jésus qui nous introduisent au cœur du le mystère pascal. Le lavement des pieds, mais aussi la fraction du pain. Deux gestes qui récapitulent toute la vie de Jésus, sa vie donnée, brisée, - et qu'il a reçue, nouvelle, au matin de Pâques.

Or durant cette semaine nous ne faisons pas que commémorer ces évènements d'il y a 2000 ans, nous voulons y participer, en suivant le chemin de croix du Seigneur et en accueillant sa vie nouvelle dans l'Esprit. Mais notre première réaction, en nous engageant sur ce chemin, est l'étonnement et la peur. Laver les pieds de nos frères et sœurs, on veut bien le faire une fois ou l'autre, rituellement, mais concrètement, qu'est-ce que cela signifie ? L'exigence exorbitante de ces gestes et l'énormité des textes que nous entendons nous dépasse tellement que nous en éprouvons un certain malaise.

La semaine sainte est pénible. Elle est une épreuve, parce qu'elle nous fait bien mesurer notre incapacité à vraiment accomplir l'Évangile. Des exigences impossibles résonnent à nos oreilles : «  Aimer jusqu'au bout  », «  Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime  » «  Suivre Jésus en portant sa croix  », et, comme il est rappelé dans l'épitre aux Hébreux : «  Vous n'avez pas encore résisté jusqu'au sang  ». Tout cela est non seulement humiliant pour nous, pauvres humains, mais finalement aussi désespérant et démobilisateur. Pourrons-nous seulement commencer à répondre à de telles exigences ? Aussi, quand Jésus nous demande : «  Comprenez-vous ce que je viens de faire ?  » nous n'osons plus répondre avec assurance que nous avons compris... Il est «  venu apporter le feu sur la terre  ». Mais comment pouvons-nous tenir près de ce feu dévorant ?

Je crois que ces questions peuvent être la dernière tentation du Carême. Le diable nous les suggère pour s'assurer que, devant de telles exigences, nous restions dans une hésitation morose, résignés et paralysés par une mauvaise conscience, ̶ en attendant que ça passe. Ça ira mieux la semaine prochaine.

Et cependant, mes frères, mes sœurs, il ne faut pas perdre confiance ! Ce n'est pas tellement en mourant que nous pouvons donner notre vie, mais plutôt en vivant, intensément, chaque moment. «  Aimer jusqu'au bout  » est d'abord tout simplement : accepter d'écouter longuement quelqu'un qui se confie, sans l'interrompre ; c'est ne pas calculer notre générosité dans les petits services, c'est rester travailler à la vaisselle jusqu'au bout, sans s'esquiver ; c'est, comme le demande l'épitre aux Hébreux, ne pas nous dérober aux exigences de notre profession, et - c'est découvrir ainsi que nous pouvons aller beaucoup plus loin que nous le pensions. Le 'bout' (du jusqu'au bout) n'est pas seulement le terme, la fin et l'anéantissement, c'est d'abord une intensité, une entièreté, dans notre engagement, dans les choses les plus simples.

«  Aimer jusqu'au bout  », comme Jésus nous le demande, ce n'est donc pas nécessairement épuiser toutes nos forces, jusqu'à ce que mort s'ensuive. Au lieu de penser cela, au lieu de nous résigner à ne pas en être capables, nous sommes appelés à découvrir la valeur infinie des humbles gestes d'amour. L'humilité est parfois grandiose, comme quand le pape lave les pieds des prisonniers, mais le plus souvent les gestes simples passent inaperçues, et cependant nous savons qu'ils ne sont pas perdus. Parce qu'ils sont donnés à des personnes qui ont une valeur infinie. Ils ne sont pas insignifiants ; ils sont comme nos petits gestes de respect et de sauvegarde de la création que nous dicte un comportement écologique. A leur place, ils sont indispensables, et notre vie quotidienne en est nourrie, sanctifiée. Si, au contraire, notre vie communautaire ou familiale n'est pas irrigué par ces marques d'amour gratuit, elle s'étiole et devient alors vraiment insignifiante.

Pour je ne sais quelles raisons l'évangéliste Jean qui a raconté le lavement des pieds ne mentionne pas ensuite la Dernière Cène, comme les autres évangélistes. Mais aujourd'hui nous célébrons aussi et surtout le repas que Jésus a partagé avec ses disciples ce soir-là, et le partage du pain et de la coupe, comme saint Paul le rappelle dans l'épitre que nous avons entendue. Car, comme je le disais en commençant, ces deux gestes vont ensemble. En 'aimant jusqu'au bout', en se révélant «  parmi nous comme celui qui sert  », Jésus donnait déjà aussi «  sa vie en rançon pour la multitude  » (Mc 10,45). De fait, nous savons qu'en servant ses frères dans l'oubli de soi Jésus leur a tout donné, et jusqu'à perdre sa propre vie. Et en donnant sa vie comme un pain rompu, il l'a partagée, multipliée, toujours plus largement.

Pour nous aussi, suivre Jésus n'est pas seulement une exigence d'abnégation individuelle, mais surtout une invitation au partage, à la rencontre et à l'accueil. Dans notre vie concrète, comme pour le pain, le partage est toujours une rupture, une fraction, et même une perte. Mais en retour, si nous le faisons ensemble, c'est aussi un échange, parce que nous recevons ce pain les uns des autres. Passer d'une vie préoccupée par nos propre projets et ambitions, limitée par nos propres craintes, pour entrer dans une existence branchée sur la vie du monde qui nous entoure, voilà ce qu'on appelle une vie eucharistique, une vie donnée et qui s'épanouit en action de grâce.

Oui, mes sœurs, mes frères, la célébration de ce jeudi saint nous fait comprendre que nos simples gestes d'amour sont toujours situés sur le vaste horizon de la vie du monde. La liturgie de ces jours saints nous révèle en effet que notre vie tout entière est intégrée dans le mystère de Jésus, le mystère du salut de tous les humains. Rien n'est mesquin dans notre existence, parce qu'elle peut désormais être vécue dans la perspective de la croix et de la résurrection du Seigneur. Dès lors, tout ce que nous faisons, si humble que ce soit, acquiert une grandeur insoupçonnée. Car, pour reprendre les paroles de Jésus lui-même, notre vie est 'donnée pour la multitude'. Ce vaste monde qui nous entoure, avec la multitude des humains, leurs douleurs et leurs espoirs, est toujours mystérieusement présent dans notre vie, et nous lui sommes concrètement solidaires. Quand nous pouvons vivre plus consciemment cette solidarité, parce qu'au cœur du mystère du Christ, notre service n'est pas pénible et notre vie n'est pas 'peineuse', mais, même à travers bien des exigences et épreuves, elle déborde d'une joie toute simple.

 

Prescriptions concernant le repas pascal

En ces jours-là, dans le pays d'Égypte, le Seigneur dit à Moïse et à son frère Aaron : « Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois, il marquera pour vous le commencement de l'année. Parlez ainsi à toute la communauté d'Israël : le dix de ce mois, que l'on prenne un agneau par famille, un agneau par maison. Si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau, elle le prendra avec son voisin le plus proche, selon le nombre des personnes. Vous choisirez l'agneau d'après ce que chacun peut manger. Ce sera une bête sans défaut, un mâle, de l'année. Vous prendrez un agneau ou un chevreau. Vous le garderez jusqu'au quatorzième jour du mois. Dans toute l'assemblée de la communauté d'Israël, on l'immolera au coucher du soleil. On prendra du sang, que l'on mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons où on le mangera. On mangera sa chair cette nuit-là, on la mangera rôtie au feu, avec des pains sans levain et des herbes amères. Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c'est la Pâque du Seigneur. Je traverserai le pays d'Égypte, cette nuit-là ; je frapperai tout premier-né au pays d'Égypte, depuis les hommes jusqu'au bétail. Contre tous les dieux de l'Égypte j'exercerai mes jugements : Je suis le Seigneur. Le sang sera pour vous un signe, sur les maisons où vous serez. Je verrai le sang, et je passerai : vous ne serez pas atteints par le fléau dont je frapperai le pays d'Égypte.

Ce jour-là sera pour vous un mémorial. Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C'est un décret perpétuel : d'âge en âge vous la fêterez. »

- Parole du Seigneur.

Ex 12, 1-8.11-14

Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu'il m'a fait ? J'élèverai la coupe du salut, j'invoquerai le nom du Seigneur.

Il en coûte au Seigneur de voir mourir les siens ! Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur, moi, dont tu brisas les chaînes ?

Je t'offrirai le sacrifice d'action de grâce, j'invoquerai le nom du Seigneur. Je tiendrai mes promesses au Seigneur, oui, devant tout son peuple.

115 (116b), 12-13, 15-16ac, 17-18

Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur

Frères, moi, Paul, j'ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l'ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. »

Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne.

- Parole du Seigneur.

1 Co 11, 23-26

Il les aima jusqu'au bout

Avant la fête de la Pâque, sachant que l'heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'au bout.

Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le c?ur de Judas, fils de Simon l'Iscariote, l'intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu'il est sorti de Dieu et qu'il s'en va vers Dieu, se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu'il se noue à la ceinture ; puis il verse de l'eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu'il avait à la ceinture. Il arrive donc à Simon-Pierre, qui lui dit : « C'est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? » Jésus lui répondit : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. » Pierre lui dit : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n'auras pas de part avec moi. » Simon-Pierre lui dit : « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! » Jésus lui dit : « Quand on vient de prendre un bain, on n'a pas besoin de se laver, sinon les pieds : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs, mais non pas tous. » Il savait bien qui allait le livrer ; et c'est pourquoi il disait : « Vous n'êtes pas tous purs. »

Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m'appelez ?Maître? et ?Seigneur?, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C'est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j'ai fait pour vous. »

- Acclamons la Parole de Dieu.

Jn 13, 1-15