Homélie du 19 fevrier 2023

 Aimez vos ennemis 

7ème dimanche du Temps Ordinaire - Année A

Une homélie de fr. Benoît Standaert

Homélie :
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Bien chers sœurs et frères, bien chers amis.

bienvenue à vous tous, ceux d'entre vous qui nous suivent de loin par l'internet et ceux qui sont montés jusqu'ici, à Clerlande. Ce dimanche est le dernier dimanche en vert. Dès mercredi on change de couleur liturgique en entrant dans le temps du Carême avec le Mercredi des Cendres. Puis viendra le temps pascal, et jusqu'à la Trinité on sera en blanc. Le vert ne reviendra qu'au mois de juin, dans plus de trois mois ou quinze semaines bien tassées !

En société on va célébrer cela par les trois jours de carnaval qui commencent dès aujourd'hui, notamment à Binche. Bien vivre les transitions est tout un art. L'Église en sait quelque chose, mais la société n'est pas en manque pour autant.

En ce dernier dimanche en vert, on reçoit de Jésus un véritable sommet de son enseignement : il parlera d'amour jusqu'à cette difficile limite d'aimer même l'ennemi. Saint Benoît reprend cet enseignement dans sa Règle et précise que cela se fase «  dans l'amour du Christ  ». Tournons-nous vers la croix du Christ, lui qui a prié pour ceux qui le reniaient et le torturaient. Qu'il intercède pour nous et notre monde dans son immense pitié.

Homélie

Bien chers amis.

«  Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait.

Soyez saints car moi, le Seigneur votre Dieu je suis saint  ».

Voilà les deux paroles clefs de ce dimanche. Elles se font écho. L'une est tirée du livre du Lévitique, l'autre du grand Sermon sur la Montagne de saint Matthieu.

Dans la Loi de Moïse avec ses cinq livres, le Lévitique occupe le centre. Dans ce livre, la Loi de sainteté constitue le sommet. Dans cette loi de sainteté le chapitre 19 dont on a lu deux fragments, occupe le centre. Il commence par cet appel solennel et saisissant qu'on a lu : «  Soyez saints parce que moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint  ». Or tout le chapitre 19 explicite en 7 paragraphes ce que cela signifie d'être saint. Le 4e paragraphe des sept est celui qui se trouve tout à fait au centre, et c'est là qu'on lit la petite phrase si précieuse pour Jésus et pour saint Paul, celle qui résume toute la Torah, toute la Loi de Dieu :

«  et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur  ».

Etonnons-nous ! Le centre du centre de toute la Torah de Moïse est : «  Et tu aimeras ton prochain comme toi-même !  » Et Jésus, interrogé sur le grand commandement, pointe vers ce verset-là justement ! Ce n'est pas banal !

Notons encore que ce bout de phrase arrive en finale d'un développement en quatre phrases. On peut les lire comme une petite échelle avec quatre échelons, ainsi parlent les rabbins !

Premier échelon : «  Tu n'auras pas dans ton cœur de haine pour ton frère  ».

La haine existe. Elle peut surgir de façon spontanée, comme une antipathie naturelle. Eh ! bien, la loi nous dit : Ne cultive pas, n'entretiens pas, ne couve pas dans ton cœur de haine à l'égard de ton frère. Première sagesse ! Elle nous concerne dans les deux sens : nous avons de l'antipathie spontanée pour telle personne ou bien nous agaçons l'autre, nous l'irritons sans savoir comment ni pourquoi. La haine s'installe et rend la relation plus que pénible. «  Tu n'auras pas dans ton cœur de haine pour ton frère, ta sœur  ». Il y a un premier travail à faire sur soi et son cœur.

«  Tu réprimanderas ton compagnon et ainsi tu n'auras pas la charge d'un péché  ».

On est solidaire et coresponsable dans la communauté. Oser parler à son frère quand celui-ci est dans l'erreur, se conduit mal, devient injuste. Mais le faire sans aucune haine dans le cœur ! Le deuxième point ne se pratique qu'après avoir bien digérer le premier !

Nouvel échelon : «  Tu ne te vengeras pas et ne garderas pas rancune envers les enfants de ton peuple  ».

La vengeance n'est pas la même chose que la haine. La haine vient de moi, spontanément. La vengeance suppose que j'ai été maltraité, que j'ai subi un tort de la part de l'autre. La loi nous dit : pas de vengeance et pas de rancune qui perdure dans le cœur ! «  Laissez la vengeance à Dieu  », dit saint Paul en citant la Torah. Quelle grandeur ! Quelle maturité !

«  Et alors : tu aimeras ton prochain comme toi-même  » ! L'amour du prochain est la

conséquence, le fruit mûr de tout un processus qu'on a traversé, en trois étapes !

«  Je suis le Seigneur  » ! Voilà le mot de la fin. C'est en aimant ainsi qu'on se

comporte de façon digne du Seigneur qui nous demande : «  Soyez saints parce que moi, le Seigneur, je suis saint !  » Quel bel évangile au cœur de ce que nous appelons communément l'Ancien Testament ! La Loi de l'amour n'est pas une invention du Nouveau Testament : on la trouve en toutes lettres dans le Premier Testament et Jésus le cite tel quel ! Même l'amour des ennemis - de ceux qui nous ont blessé au point où cela crie vengeance en notre cœur - est inscrit dans ces versets du centre du Lévitique. Saint Paul enseignera : «  Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger, s'il a soif donne-lui à boire  » et il cite le livre des Proverbes. On lit encore dans la Torah : «  Quand tu tomberas sur le bœuf de ton ennemi, ou sur son âne égarés, tu les lui ramèneras. Quand tu verras l'âne de celui qui t'en veut gisant sous son fardeau, loin de l'abandonner, tu l'aideras à ordonner la charge  » (Ex 23,4s.). C'est du concret mais ce sont aussi des paraboles où l'on vient en aide à celui qui peine, même si c'est l'animal de ton ennemi qui souffre !

Passons maintenant à Matthieu et à Jésus ! L'un comme l'autre estiment beaucoup cette page du Lévitique. Matthieu est le seul évangéliste qui citera jusqu'à trois fois dans son évangile ce verset 18 de Lévitique 19 : «  Et tu aimeras ton prochain comme toi-même  ». Trois fois ! C'est pour lui la clef avec laquelle il faut relire toute la Torah de Moïse, à l'école de Jésus.

Aujourd'hui Matthieu nous conduit jusqu'au sommet ! Dans les célèbres antithèses : «  Vous savez qu'on a dit aux ancêtres... Eh ! bien moi je vous dis  », Jésus va cette fois jusqu'à dire :

«  Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent.

Bénissez ceux qui vous maudissent ! jeûnez pour ceux qui vous maltraitent !  »

«  Alors - et alors seulement ! - vous serez les dignes fils et filles de votre Père qui est aux cieux !  »

«  Car lui, il fait lever son soleil sur les méchants et les bons - sans faire de différences - et il fait tomber la pluie sur les justes et les impies  », sans distinction ! 

Jésus voit ce que tout le monde a pu voir depuis qu'il y a un soleil et de la pluie ! Mais il relit ces phénomènes naturels comme un langage divin. Dieu donne royalement avec surabondance, sans faire de distinction. Notre cœur, rejoint-il le cœur de Dieu ? Sommes-nous les dignes fils et filles d'un tel Père ? Jésus nous pousse à une limite. Si l'on n'est bon qu'avec ceux qui sont bons avec nous, que faisons d'extraordinaire ? «  Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait !  » Dieu notre Père est parfait parce qu'il rend parfait. Laissons-nous former et transformer par sa perfection active au fond de nos cœurs. Ces grands textes du Lévitique et de Matthieu nous préparent directement à la montée vers Pâques qui commence dans trois jours et nous allons retrouver exactement ces deux pages dans les tout premiers jours du Carême !

Méditons ces enseignements : ils concernent notre cœur. Ils nous poussent à un merveilleux dépassement. Pour être un digne fils, une digne fille de ce Père de Jésus, il doit se passer quelque chose dans notre cœur : quelque chose doit céder au fond de nous. Alors le plus grand peut entrer et accomplir l'impossible. Un saint moine du Mont Athos, le staretz Silouane répétait dans ses écrits : «  Il est impossible d'aimer ses ennemis si ce n'est dans l'Esprit saint  ». Et saint Benoît dans sa règle répète : c'est «  dans l'amour du Christ - in Christi amore - que l'on prie pour ses persécuteurs et que l'on aime ses ennemis  ». Dans le sacrement de l'amour christique. Car livrés à nous-mêmes, cela ne réussira pas ! Un autre moine qui vivait dans les hautes montagnes entre la Syrie et la Turquie, là justement où ont eu lieu les terribles tremblements de terre, Isaac de Ninive, s'interroge :

«  Qu'est-ce qu'un cœur miséricordieux ? C'est un cœur qui brûle pour tout l'univers créé, pour les hommes, les oiseaux, les bêtes, pour les démons, pour toute créature. Il suffit qu'il pense à eux ou qu'il les regarde, pour que ses yeux se mettent à verser des larmes. Sa pitié est si forte et si intense, sa constance si grande que son cœur se brise et qu'il ne peut supporter de devoir entendre la moindre peine ou la plus petite tristesse sur terre. C'est pourquoi il prie à tout instant pour les animaux sans parole, pour les ennemis de la vérité et pour tous ceux qui lui causent du mal : qu'ils soient préservés et qu'il leur soit pardonné. Dans la miséricorde infinie qui monte de son cœur, il prie, à l'image de Dieu, même pour les serpents  ».

 

Tu aimeras ton prochain comme toi-même

Le Seigneur parla à Moïse et dit : « Parle à toute l'assemblée des fils d'Israël. Tu leur diras : Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint.

Tu ne haïras pas ton frère dans ton c?ur. Mais tu devras réprimander ton compatriote, et tu ne toléreras pas la faute qui est en lui. Tu ne te vengeras pas. Tu ne garderas pas de rancune contre les fils de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur. »

- Parole du Seigneur.

Lv 19, 1-2.17-18

Bénis le Seigneur, ô mon âme, bénis son nom très saint, tout mon être ! Bénis le Seigneur, ô mon âme, n'oublie aucun de ses bienfaits !

Car il pardonne toutes tes offenses et te guérit de toute maladie ; il réclame ta vie à la tombe et te couronne d'amour et de tendresse.

Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d'amour ; il n'agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses.

Aussi loin qu'est l'orient de l'occident, il met loin de nous nos péchés ; comme la tendresse du père pour ses fils, la tendresse du Seigneur pour qui le craint !

Ps 102 (103), 1-2, 3-4, 8.10, 12-13

Tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu

Frères, ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu'un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c'est vous. Que personne ne s'y trompe : si quelqu'un parmi vous pense être un sage à la manière d'ici-bas, qu'il devienne fou pour devenir sage. Car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. Il est écrit en effet : C'est lui qui prend les sages au piège de leur propre habileté. Il est écrit encore : Le Seigneur le sait : les raisonnements des sages n'ont aucune valeur ! Ainsi, il ne faut pas mettre sa fierté en tel ou tel homme. Car tout vous appartient, que ce soit Paul, Apollos, Pierre, le monde, la vie, la mort, le présent, l'avenir : tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu.

- Parole du Seigneur.

1 Co 3, 16-23

Aimez vos ennemis

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Vous avez appris qu'il a été dit : ?il pour ?il, et dent pour dent. Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l'autre. Et si quelqu'un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu'un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. À qui te demande, donne ; à qui veut t'emprunter, ne tourne pas le dos !

Vous avez appris qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d'être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n'en font-ils pas autant ? Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d'extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n'en font-ils pas autant ? Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »

- Acclamons la Parole de Dieu.

Mt 5, 38-48