Une homélie de fr. Benoît Standaert
Bienvenue à vous tous, chères sœurs, chers frères, chers amis.
Vous qui êtes montés jusqu'ici, jusqu'à cette chapelle de Clerlande et vous qui nous suivez grâce au site internet. Bienvenue et bonheur de vie ! C'est le premier mot de Jésus aujourd'hui, et il le répétera jusqu'à huit fois ! « Heureux êtes-vous ! » Déclaration de bonheur, de félicité, de béatitude, dès maintenant ! Cela sonne presque trop beau pour être vrai ? Mais la mélodie est claire, le ton est donné : « Heureux ! » « J'ai joué de la flûte », dit Jésus lors d'une contestation, au cœur de l'évangile, mais vous, avez-vous dansé ?
Préparons-nous à la célébration de cette eucharistie en ouvrant notre cœur à l'audace de la parole du maître : il est venu avec une bonne nouvelle annoncée aux pauvres. Invoquons-le dans notre pauvreté. Il écoute. Et il sait comment rendre l'homme heureux. Kyrie eleison !
Homélie
Bien chers amis.
Jésus est là, sur la montagne, comme un autre Moïse. Et il proclame les béatitudes, la porte d'entrée d'un grand discours, appelé Sermon sur la Montagne, trois chapitres dans saint Matthieu. La clef musicale de ce sermon est le mot « Heureux ». Qu'est-ce à dire ? Dieu veut notre bonheur. Son envoyé parle pour nous ouvrir les yeux, les oreilles, le cœur à un message tonifiant, vivifiant, réjouissant : Heureux êtes-vous !
Mais ce ne sont pas de béatitudes faciles, des félicités bon marché ! Ce sont coup sur coup des paradoxes : Heureux êtes-vous si l'on vous persécute ! Heureux êtes-vous, les assoiffés de justice qui vivez le contraire, l'oppression, l'injustice flagrante, la guerre ! Heureux êtes-vous les pauvres, les humbles de la terre, les exclus, les marginaux... Celui qui parle, provoque. Sa mélodie est forte mais arrivons-nous à y adhérer, à adopter son pas de danse, à danser avec lui et à entrer dans sa farandole ? « J'ai joué de la flûte... et vous n'avez pas dansé ? »
Toutefois il parle avec autorité comme quelqu'un qui sait d'expérience : pour autant que je connais Dieu, il vous aime, il vous réconforte, vous serez consolés, vous serez rassasiés, vous serez comblés, vous obtiendrez miséricorde, justice, le Royaume. Le paradoxe conduit à un au-delà qui n'est pas réservé à un lendemain lointain dans une autre vie, comme au-delà de la mort ! Le Royaume est à vous ! Maintenant ! Car s'il est une plénitude finale, il se manifeste dès maintenant, dans la joie de l'Esprit, dans la force de l'espérance, dans la liberté des enfants de Dieu. « Le Royaume est tout proche. Il est au milieu de vous ».
Qui écoute bien, entend les prophéties se réaliser, comme dans ce court fragment de Sophonie, proclamé dans la première lecture aujourd'hui. Sophonie est un prophète avec une vision émouvante : « Je ne laisserai plus exister sur ma sainte montagne qu'un peuple de humbles, qui marchent épaule contre épaule, sans arrogance aucune, personne ne dominant personne, mais tous en faisant la volonté de Dieu dans la justice et dans l'humilité ! Cherchez la justice ! Cherchez la pauvreté-humilité ! Ils viendront de partout, en pèlerins, des nations lointaines pour former une communauté ». C'est aussi le rêve du Trito-Isaïe, qui voit l'Esprit descendre sur l'envoyé divin pour annoncer une année de grâce, de réconciliation, de bonne nouvelle aux pauvres, de liberté pour qui est réduit à l'esclavage, de consolation pour qui pleure, de bonheur pour qui a faim et soif. Jésus reprend ces promesses entrevues par ses prédécesseurs prophétiques et les cristallise dans de nouvelles formules fortes : Heureux les pauvres de cœur, heureux les doux, heureux ceux qui pleurent, heureux les miséricordieux.
Il parle avec simplicité et autorité et bien des commentateurs ont ausculté ses paroles comme autant de rayons de lumière qui proviennent de son propre cœur. Au beau milieu de l'évangile matthéen Jésus dira de lui-même : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous la fardeau, et je soulagerai vos âmes. Venez à mon école et apprenez de moi : je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour vos âmes. Oui, mon joug est agréable, mon fardeau est léger » ! Les béatitudes sont coup sur coup un autoportrait de Jésus ! Le paradoxe demeure mais on savoure en même temps son au-delà qui est victorieux parce que lui-même irradie la paix, la douceur, la miséricorde, la pauvreté souveraine, la soif de justice qui est assouvie.
Bien chers amis, peut-être qu'en réentendant ces huit béatitudes, vous vous sentez comme écrasés, incapables de rejoindre ce qui est proposé comme voie à suivre ? Un jour les rabbins étaient réunis et méditaient à la maison d'étude le Psaume 15 où l'on pose la question : « Qui peut monter sur la montagne de Dieu et établir sa demeure dans la maison sainte du Seigneur ? » Le psalmiste donne alors une liste de onze conditions pour conclure : « Qui fait ainsi, demeurera inébranlable » ! Mais un des rabbins soupire, comme vous peut-être aussi aujourd'hui : « Mais qui peut faire tout cela ? » Alors intervient rabbi Aqiva, le grand sage, le scribe des scribes, l'exégète le plus libre dans l'interprétation des Écritures. Et que dit-il ? Il pose la question : N'avez-vous pas lu que quand Dieu juge, et qu'on lui rapporte que quelqu'un a fait une infraction, n'est-ce pas comme s'il avait enfreint tous les commandements ? Ils lui répondent : Oui, de fait. Mais Dieu qui est aussi un abîme de miséricorde, quand il apprend que quelqu'un correspond à une de ces onze recommandations, ne va-t-il pas en conclure que c'est comme s'il les avait accomplies toutes ? - « Aqiva, Aqiva, Tu nous as consolés ! », disent en chœur les amis rabbins réunis !
Je vous dirais de même : repasser dans votre mémoire une des huit béatitudes, et choisissiez-en une qui vous convient le mieux ! Une suffit : la douceur, la pauvreté-humilité, les larmes, la soif de justice, la miséricorde en acte, être artisan de paix. Et allez jusqu'au bout et vous découvrirez la justice de Dieu, la miséricorde divine, la filiation de Dieu, la consolation, le Royaume des Cieux.
Les moines aimaient tout particulièrement la béatitude des larmes. Heureux ceux qui pleurent, qui se présentent à Dieu avec un cœur brisé et broyé, comme le cœur de David qui reconnaît sa faute avec Bethsabée. Le moine pleure et découvre comment il est consolé : paraklèthèsontai, comment il reçoît le Paraclet, l'Esprit consolateur qui vient le combler de joie.
Imitons la voie des prophètes, imitons Jésus, imitons les saints qui imitent Jésus. Et entrons dans l'espace nouveau où règne la consolation, la justice, la miséricorde, la paix, le Royaume des cieux parmi nous. Amen.
Le Royaume des cieux parmi nous est un espace de liberté, de franchise de parole. Osons prier et intercéder largement.
Cherchez le Seigneur, vous tous, les humbles du pays, qui accomplissez sa loi. Cherchez la justice, cherchez l'humilité : peut-être serez-vous à l'abri au jour de la colère du Seigneur.
Je laisserai chez toi un peuple pauvre et petit ; il prendra pour abri le nom du Seigneur. Ce reste d'Israël ne commettra plus d'injustice ; ils ne diront plus de mensonge ; dans leur bouche, plus de langage trompeur. Mais ils pourront paître et se reposer, nul ne viendra les effrayer.
- Parole du Seigneur.
So 2, 3 ; 3, 12-13
Le Seigneur fait justice aux opprimés ; aux affamés, il donne le pain, le Seigneur délie les enchaînés.
Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles, le Seigneur redresse les accablés, le Seigneur aime les justes.
Le Seigneur protège l'étranger, il soutient la veuve et l'orphelin, le Seigneur est ton Dieu pour toujours.
Ps 145 (146), 7, 8, 9ab.10b
Frères, vous qui avez été appelés par Dieu, regardez bien : parmi vous, il n'y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni de gens puissants ou de haute naissance. Au contraire, ce qu'il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion les sages ; ce qu'il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion ce qui est fort ; ce qui est d'origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n'est pas, voilà ce que Dieu a choisi, pour réduire à rien ce qui est ; ainsi aucun être de chair ne pourra s'enorgueillir devant Dieu. C'est grâce à Dieu, en effet, que vous êtes dans le Christ Jésus, lui qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification, rédemption. Ainsi, comme il est écrit : Celui qui veut être fier, qu'il mette sa fierté dans le Seigneur.
- Parole du Seigneur.
1 Co 1, 26-31
En ce temps-là, voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s'assit, et ses disciples s'approchèrent de lui. Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait : « Heureux les pauvres de c?ur, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. Heureux les c?urs purs, car ils verront Dieu. Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux êtes-vous si l'on vous insulte, si l'on vous persécute et si l'on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l'allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! »
- Acclamons la Parole de Dieu.
Mt 5, 1-12a