Une homélie de fr. Pierre de Béthune
RESTEZ ÉVEILLÉS
Au terme de deux ou trois ans de prédications en Galilée et à Jérusalem, Jésus a pris conscience qu'il devrait faire face à une opposition déterminée. La 'Bonne Nouvelle' qu'il annonçait était trop gênante pour une classe de ses concitoyens. Ils étaient décidés à le supprimer à la première occasion favorable. Jésus se rendait également compte que ses disciples allaient aussi devoir affronter une telle opposition. C'est dans ce climat qu'il a repris, pour leur parler, le style d'interventions des prophètes qui annonçaient aussi des catastrophes, pour préparer les fidèles à les affronter. Nous en avons un échantillon dans la lecture du prophète Malachie. Les trois évangiles de Matthieu, Marc et Luc nous ont laissé des chapitres dans le style des 'apocalypses'. Comment accueillir ce genre de message ? Que pouvons-nous en retenir pour notre vie aujourd'hui ?
Je voudrais d'abord vous signaler que si le mot 'apocalypse' signifie littéralement 'révélation', cela ne veut pas dire qu'il s'agit d'une révélation fondamentale pour notre foi, comme celle de l'amour universel du Père. Non ! Cette 'apocalypse' n'est pas une vraie révélation, parce qu'en parlant ainsi, Jésus ne fait que reprendre des images et des expressions courantes dans certains milieux, à cette époque. C'est un genre littéraire typique. Il y a beaucoup d'apocalypses, attribuées à Baruch, Daniel, Hénoch, et il y en aura encore d'autres, comme par exemple l'apocalypse de Pierre, - pour ne pas parler de celle attribuée à Jean qui est conservée dans nos bibles. Mais en reprenant ce langage courant, Jésus n'a pas l'intention de nous révéler des catastrophes précises pour l'avenir. Ce n'est pas pour cela qu'il est venu ! Comme vous savez, on a essayé de voir dans ces textes mystérieux l'annonce de faits historiques successifs, comme la chute de Jérusalem, les invasions des Barbares, la Guerre de Cent ans, la Guerre 14, la Guerre 40, voire même Tchernobyl.
Mais, pour reprendre un adage bien connu, quand quelqu'un vous montre de son doigt la lune, il ne faut pas regarder son doigt ; il ne montre pas son doigt, mais la lune. La révélation que Jésus est venu nous apporter en ce passage apocalyptique de l'évangile, la Bonne Nouvelle, n'est pas l'annonce de toutes sortes de catastrophes, mais la promesse que le Père est toujours avec nous, par son Esprit, surtout quand nous devons affronter des difficultés.
Les catastrophes, il y a en a toujours, hélas. Il ne faut pas être un grand prophète pour les annoncer ! Mais, contrairement aux autres apocalypses de ce temps qui annonçaient ou postulaient la vengeance de Dieu sur nos ennemis et le salut de ses élus qui seuls échapperaient, Jésus nous invite seulement à la confiance et au courage, au milieu des adversités « Vous serez amenés à rendre témoignage » et : « Mettez-vous dans le cœur que vous n'avez pas à vous préoccuper de votre défense. C'est moi qui vous donnerai un langage auquel tous vos adversaires ne pourront vous résister. » En saint Marc, dans un passage parallèle, précise : « Ce n'est pas vous qui parlerez, mais l'Esprit Saint ».
Notez : dans ce texte Jésus dit bien : « Mettez-vous dans le cœur », et pas « dans l'esprit », comme le traduit curieusement le texte officiel. Car c'est bien du cœur que vient le courage, la patience, et c'est aussi du cœur que viennent les paroles que l'Esprit inspire. Parce que nous devons aussi être attentifs à notre cœur, comme Jésus nous le dit, un peu plus loin, dans la suite du texte (que la liturgie n'a pas repris ici parce qu'elle l'fait entendre le premier dimanche de l'Avent de l'année Saint Luc), : « Faites attention à ce que vos cœurs ne s'alourdissent pas dans les plaisirs insouciants ; restez éveillés dans la prière de tous les instants ». Voilà le message que Jésus nous laisse à la fin de son ministère : vous aurez à affronter des épreuves, des persécutions, oui, « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups », mais « Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume ».
Notons donc l'insistance de Jésus sur l'éveil. Cette confiance dans l'amour du Père doit rester vive. Elle n'est pas une confiance qui nous endort. Cela apparait davantage dans la suite du texte, et d'ailleurs dans tout l'évangile : il est tout entier une invitation à veiller. Le temps de l'Avent qui commence dans quinze jours nous permettra de mieux entendre cet appel.
Rappelons-nous donc, mes sœurs, mes frères, que Jésus n'envisage pas seulement les cas où nous sommes personnellement touchés par un malheur ; ailleurs, et le plus souvent dans les évangiles, il nous demande d'affronter le malheur des autres, dans une démarche toute aussi essentielle pour accueillir le Royaume. L'éveil qu'il nous demande est une ouverture tous azimuts. De fait, aujourd'hui, les malheurs et les catastrophes ne manquent pas autour de nous. Catastrophes écologiques et surtout catastrophes humaines en tant de pays, et même près de nous. Inutile d'énumérer les pays et les situations : les moyens de communications nous les rappellent chaque jour. Nous sommes d'ailleurs si bien informés que, finalement, cela ne nous touche plus beaucoup. On s'habitue, même aux images apocalyptiques. Et nous sommes alors tentés de nous dire : « Oui, c'est vraiment dommage, mais, ici au moins, ça va bien jusqu'à présent. Grâce à Dieu, la foudre est tombée sur la maison de nos voisins : ils sont tous morts, mais, chez nous, tout va très bien, grâce à Dieu. »
Dieu attend de nous plus que ce genre d'action de grâce ! Il nous demande de veiller, et non seulement sur nous-mêmes, mais aussi sur nos frères et sœurs. Il nous demande de rester éveillés à ces situations, souvent apocalyptiques, de notre monde, et de ne pas limiter notre attention à nos propres problèmes. En cette période de l'année où l'on a tendance à rester chez soi, au chaud, il est d'autant plus nécessaire d'ouvrir nos yeux aux dimensions du monde et de voir, dans la prière, quelle conversion, quels renoncements, quelles découvertes nous sont demandés, pour mieux 'vivre ensemble'. 'Vivre ensemble', tel est précisément le thème de la campagne d'Avent que lance l'église de Belgique chaque année. On y reviendra au début de l'Avent...
Nous allons maintenant partager le pain au nom de Jésus Christ. C'est dans ce partage que nous le reconnaissons. Puissent ceux que nous rencontrons également nous reconnaitre comme disciples du Christ à la façon dont nous pouvons, nous aussi, partager, partager notre attention, notre temps, nos compétences, notre amitié. Et nous savons que nous découvrons ainsi une joie imprenable.
Voici que vient le jour du Seigneur, brûlant comme la fournaise. Tous les arrogants, tous ceux qui commettent l'impiété, seront de la paille. Le jour qui vient les consumera, - dit le Seigneur de l'univers -, il ne leur laissera ni racine ni branche. Mais pour vous qui craignez mon nom, le Soleil de justice se lèvera : il apportera la guérison dans son rayonnement.
- Parole du Seigneur.
Ml 3, 19-20a
Jouez pour le Seigneur sur la cithare, sur la cithare et tous les instruments ; au son de la trompette et du cor, acclamez votre roi, le Seigneur !
Que résonnent la mer et sa richesse, le monde et tous ses habitants ; que les fleuves battent des mains, que les montagnes chantent leur joie.
Acclamez le Seigneur, car il vient pour gouverner la terre, pour gouverner le monde avec justice et les peuples avec droiture !
Ps 97 (98), 5-6, 7-8, 9
Frères, vous savez bien, vous, ce qu'il faut faire pour nous imiter. Nous n'avons pas vécu parmi vous de façon désordonnée ; et le pain que nous avons mangé, nous ne l'avons pas reçu gratuitement. Au contraire, dans la peine et la fatigue, nuit et jour, nous avons travaillé pour n'être à la charge d'aucun d'entre vous. Bien sûr, nous avons le droit d'être à charge, mais nous avons voulu être pour vous un modèle à imiter. Et quand nous étions chez vous, nous vous donnions cet ordre : si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus. Or, nous apprenons que certains d'entre vous mènent une vie déréglée, affairés sans rien faire. À ceux-là, nous adressons dans le Seigneur Jésus Christ cet ordre et cet appel : qu'ils travaillent dans le calme pour manger le pain qu'ils auront gagné.
- Parole du Seigneur.
2 Th 3, 7-12
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, comme certains disciples de Jésus parlaient du Temple, des belles pierres et des ex-voto qui le décoraient, Jésus leur déclara : « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n'en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit. » Ils lui demandèrent : « Maître, quand cela arrivera-t-il ? Et quel sera le signe que cela est sur le point d'arriver ? » Jésus répondit : « Prenez garde de ne pas vous laisser égarer, car beaucoup viendront sous mon nom, et diront : ?C'est moi', ou encore : ?Le moment est tout proche.' Ne marchez pas derrière eux ! Quand vous entendrez parler de guerres et de désordres, ne soyez pas terrifiés : il faut que cela arrive d'abord, mais ce ne sera pas aussitôt la fin. » Alors Jésus ajouta : « On se dressera nation contre nation, royaume contre royaume. Il y aura de grands tremblements de terre et, en divers lieux, des famines et des épidémies ; des phénomènes effrayants surviendront, et de grands signes venus du ciel.
Mais avant tout cela, on portera la main sur vous et l'on vous persécutera ; on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon nom. Cela vous amènera à rendre témoignage. Mettez-vous donc dans l'esprit que vous n'avez pas à vous préoccuper de votre défense. C'est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister ni s'opposer. Vous serez livrés même par vos parents, vos frères, votre famille et vos amis, et ils feront mettre à mort certains d'entre vous. Vous serez détestés de tous, à cause de mon nom. Mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu. C'est par votre persévérance que vous garderez votre vie. »
- Acclamons la Parole de Dieu.
Lc 21, 5-19