Homélie du 4 septembre 2022

 Celui qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple 

23ème dimanche du Temps Ordinaire - Année C

Une homélie de fr. Pierre de Béthune

Homélie :
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CONSENTIR À NE PAS POSSÉDER

Nous recevons aujourd'hui un bien curieux évangile. C'est une parabole à l'envers. Jésus nous donne de bons conseils, et puis, il conclut en nous demandant de faire le contraire. Au lieu d'accumuler sagement tous les biens nécessaires à la réalisation de notre projet, il demande de décumuler, de tout disperser systématiquement : «  Celui qui ne renonce pas à tout ce qu'il possède ne peut être mon disciple ».

Qu'est-ce que peut bien signifier ce «  tout ce qu'il possède  » ? En remontant un peu plus haut dans ce texte on voit que concrètement tous ces 'biens', ces possessions auxquelles il faudrait renoncer, ce sont : «  son père, sa mère, sa femme, ses enfants...  » Tous ceux qui me sont le plus chers sont-ils donc mes 'possessions', mes propriétés ? Jésus ne peut pas avoir dit des choses pareilles !

C'est donc là, au cœur du contre-sens et de l'absurde, que nous sommes obligés de jeter un regard nouveau sur cet évangile, pour découvrir une issue, par-delà les équivoques, et chercher à voir ce que Jésus a vraiment voulu nous dire.

Jésus ne demande évidemment pas de 'haïr' sa famille. Un peu plus loin dans le même évangile de Luc il dit précisément qu'il faut «  honorer son père et sa mère  » (18, 20). Et cependant, ici, il parle de 'haïr son père, sa mère...' ; 'haïr', c'est bien le mot de ce texte. La traduction liturgique l'a édulcoré en faisant dire à Jésus : «  celui qui ne me 'préfère' pas à son père, sa mère...  ». Or le texte original est clair : il ne s'agit pas d'une préférence, mais bien d'une rupture, d'un rejet. Mais alors, comment accepter cela aussi de la part de Jésus ?

Il faut donc chercher plus précisément ce qu'il y a à haïr ; nous avons là une indication essentielle pour la compréhension de ce texte. Jésus nous demande précisément de rompre avec cette façon de voir nos parents comme des ressources, un peu comme nos maisons ou nos champs, dont il est question dans un autre passage de l'évangile sur le renoncement, et il précise : si, effectivement vous considérez vos proches, comme vos possessions, il vous faut y renoncer, - pour pouvoir les aimer. Car tous ceux qui nous aiment et que nous aimons, nous sont donnés ; nous ne les possédons pas ! Il y a une forme de relation qui est possessive, mais nous savons bien qu'elle est une forme de violence, une manière de ne pas reconnaitre ce que sont ces personnes, de les utiliser, et finalement de les nier. Jésus nous demande de renoncer à ce type de relation, parce qu'il est mortifère.

Je vous raconte ici un souvenir d'enfance. Il y avait à la maison des moineaux qui nichaient derrière les volets. C'est l'époque où il y avait encore des moineaux. Or, un jour, un petit jeune est tombé du nid. Il avait déjà quelques plumes, mais il ne pouvait pas encore voler. Je l'ai ramassé : il était mon jouet, ma possession. Et quand mon frère m'a demandé de le lui confier un instant, j'ai refusé : c'était mon moineau ; et pour être sûr qu'il ne me le prenne pas ; je l'ai serré très fort entre mes mains. Finalement, quand j'ai voulu le regarder de plus près, j'ai constaté qu'il était mort : je l'avais étouffé.

La possession exclusive mène à la mort. Mais Jésus veut la vie, et il nous la donne en abondance, si nous jouons le jeu du partage.

Quand donc il nous demande, dans l'évangile d'aujourd'hui, de renoncer à toute possession, ce n'est pas pour 'haïr' nos proches, ceux que nous aimons ! C'est pour pouvoir les aimer vraiment, - vraiment eux, pour ce qu'ils sont, et non pas comme des sources de richesse, de prestige, de confort, bref comme notre propriété. Il nous demande surtout de ne pas les étouffer par notre attachement égoïste.

Oui, mes frères, mes sœurs, nous recevons de l'évangile une nouvelle manière d'aimer, comme Jésus aimait. En effet, il y est écrit que «  Jésus lui-même aimait Marie, et Marthe, et Lazare leur frère  ». Ailleurs encore l'évangéliste remarque que Jésus «  aimait  » le jeune homme qui vient lui poser une question. Ailleurs encore. C'est une manière d'aimer ses proches sans aucune possessivité, emprise, sans aucune exploitation, recherche de profit, d'enrichissement, avec courage et patience, mais en les laissant vraiment libres, imprévisibles, créatifs.

Et cet amour pour nos proches n'est plus alors le concurrent de l'amour de Dieu, comme s'il fallait renoncer à notre affection pour pouvoir aimer Dieu ! Seulement il nous faut fuir et rompre avec toute forme d'amour qui fait obstacle à l'ouverture sur plus loin encore. Si Jésus nous demande de renoncer à cette façon possessive de nous attacher, c'est pour garder l'horizon large et pour pouvoir le suivre sur son chemin. Notre amour n'en sera que plus beau, et plus fort.

Il demande pour cela d'envisager des renoncements. Le mot et la démarche du renoncement nous semblent très négatifs, comme une perte, une mutilation. Mais l'évangile nous indique une autre façon de voir le renoncement. Car il y a des richesses qui nous entravent et empêchent de marcher. Il faut renoncer à tout saisir et utiliser, pour pouvoir goûter la richesse intérieure qui est une grâce. Un moine d'En Calcat, où j'étais dimanche passé, disait : «  Un homme n'est riche que de qu'il consent à ne pas posséder  ». Je dirais : consentir à ne pas posséder, voilà une belle richesse ! Cela peut paraître un peu sibyllin, mais cette richesse-là est une merveilleuse expérience de liberté, de simplicité, oui, un vrai trésor. Saint Benoît remarque aussi que celui qui a besoin de peu et se contente parfois du manque est davantage capable de rendre grâce à Dieu, dans la joie du désir spirituel.

Cet évangile est donc d'actualité. En effet, il nous faut aujourd'hui réapprendre le vrai renoncement. Comme vous savez, la conjoncture économique est inquiétante, et le respect de notre planète nous invite à renoncer à toujours consommer, autant que nous pouvons. Or nous risquons d'entrer à reculons dans cette évolution, parce que nous nous rappelant les 'Trente glorieuses' du siècle passé et nous avons peur du renoncement. Mais, dans l'esprit de cet évangile, nous savons que le nécessaire renoncement peut aussi être une belle expérience de vie libre.

Il est aussi question dans cet évangile de 'porter sa croix' pour suivre Jésus, de renoncer à soi-même. Les évangélistes qui ont écrit cela après la mort de Jésus sur la croix connaissaient bien la nécessité de passer par la contradiction de la croix pour suivre le Christ jusqu'au bout. Il ne faut donc pas escamoter cet aspect du message. Sur notre chemin de liberté, nous devons aussi quelquefois traverser des situations crucifiantes. C'est le moment de ne jamais oublier que de nombreuses personnes engagées au service de leurs frères et sœurs sont affrontées à tant d'épreuves. Cela relativise nos propres difficultés et nous aide à les traverser...

Vous voyez ! cet évangile qui nous semblait passablement contradictoire, voire scandaleux se révèle source de beaucoup d'encouragement sur notre chemin, au début de cette nouvelle année. Demandons au Seigneur, au cours de cette eucharistie, de nous aider à entrer dans la saison qui s'ouvre devant nous, pour apprendre de lui une plus grande liberté d'aimer.

 

Qui peut comprendre les volontés du Seigneur ?

Quel homme peut découvrir les intentions de Dieu ? Qui peut comprendre les volontés du Seigneur ? Les réflexions des mortels sont incertaines, et nos pensées, instables ; car un corps périssable appesantit notre âme, et cette enveloppe d'argile alourdit notre esprit aux mille pensées. Nous avons peine à nous représenter ce qui est sur terre, et nous trouvons avec effort ce qui est à notre portée ; ce qui est dans les cieux, qui donc l'a découvert ? Et qui aurait connu ta volonté, si tu n'avais pas donné la Sagesse et envoyé d'en haut ton Esprit Saint ? C'est ainsi que les sentiers des habitants de la terre sont devenus droits ; c'est ainsi que les hommes ont appris ce qui te plaît et, par la Sagesse, ont été sauvés.

- Parole du Seigneur.

Sg 9, 13-18

Tu fais retourner l'homme à la poussière ; tu as dit : « Retournez, fils d'Adam ! » À tes yeux, mille ans sont comme hier, c'est un jour qui s'en va, une heure dans la nuit.

Tu les as balayés : ce n'est qu'un songe ; dès le matin, c'est une herbe changeante : elle fleurit le matin, elle change ; le soir, elle est fanée, desséchée.

Apprends-nous la vraie mesure de nos jours : que nos c?urs pénètrent la sagesse. Reviens, Seigneur, pourquoi tarder ? Ravise-toi par égard pour tes serviteurs.

Rassasie-nous de ton amour au matin, que nous passions nos jours dans la joie et les chants. Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu ! Consolide pour nous l'ouvrage de nos mains.

Ps 89 (90), 3-4, 5-6, 12-13, 14.17abc

Accueille-le, non plus comme un esclave, mais comme un frère bien-aimé

Bien-aimé, moi, Paul, tel que je suis, un vieil homme et, qui plus est, prisonnier maintenant à cause du Christ Jésus, j'ai quelque chose à te demander pour Onésime, mon enfant à qui, en prison, j'ai donné la vie dans le Christ. Je te le renvoie, lui qui est comme mon c?ur. Je l'aurais volontiers gardé auprès de moi, pour qu'il me rende des services en ton nom, à moi qui suis en prison à cause de l'Évangile. Mais je n'ai rien voulu faire sans ton accord, pour que tu accomplisses ce qui est bien, non par contrainte mais volontiers. S'il a été éloigné de toi pendant quelque temps, c'est peut-être pour que tu le retrouves définitivement, non plus comme un esclave, mais, mieux qu'un esclave, comme un frère bien-aimé : il l'est vraiment pour moi, combien plus le sera-t-il pour toi, aussi bien humainement que dans le Seigneur. Si donc tu estimes que je suis en communion avec toi, accueille-le comme si c'était moi.

- Parole du Seigneur.

Phm 9b-10.12-17

Celui qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple

En ce temps-là, de grandes foules faisaient route avec Jésus ; il se retourna et leur dit : « Si quelqu'un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et s?urs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple.

Quel est celui d'entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence par s'asseoir pour calculer la dépense et voir s'il a de quoi aller jusqu'au bout ? Car, si jamais il pose les fondations et n'est pas capable d'achever, tous ceux qui le verront vont se moquer de lui : ?Voilà un homme qui a commencé à bâtir et n'a pas été capable d'achever !' Et quel est le roi qui, partant en guerre contre un autre roi, ne commence par s'asseoir pour voir s'il peut, avec dix mille hommes, affronter l'autre qui marche contre lui avec vingt mille ? S'il ne le peut pas, il envoie, pendant que l'autre est encore loin, une délégation pour demander les conditions de paix.

Ainsi donc, celui d'entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. »

- Acclamons la Parole de Dieu.

Lc 14, 25-33