Homélie du 2 janvier 2022

Nous sommes venus d'Orient adorer le roi

L'Épiphanie du Seigneur - Année C

Une homélie de fr. Benoît Standaert

Homélie :
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Chers frères et sœurs, chers amis

Bienvenue à vous tous en ce premier dimanche de l'année, vous qui nous avez rejoints dans cette chapelle et vous qui nous suivez grâce à internet.

Chaque année ce premier dimanche est aussi celui de l'Epiphanie, la fête où Noël, comme événement, en vient à concerner toute l'humanité, par la présence des Mages venus de l'Orient !

Noël est comme un diamant avec plusieurs facettes. La nuit même, on a lu le récit fondateur de la naissance selon Luc, le jour de Noël on a écouté le prologue de saint Jean, à la fête de la sainte famille, dimanche dernier, on a entendu la première prise de parole du jeune Jésus, à douze ans dans le Temple ; au Nouvel An, hier matin, on nous a lu le récit de sa circoncision, juste huit jours après la naissance, et aujourd'hui, c'est l'arrivée des rois mages, un récit haut en couleurs et intensité dramatique que seul Matthieu nous a transmis.

Ouvrons-nous à cette richesse et contemplons en l'événement si précis et simple de la naissance toutes les dimensions, également celle de son universalité. Car dans les étoiles on a capté un message et des sages de peuples lointains sont venus pour adorer le nouveau Roi à Bethléem de Juda. Invoquons donc Celui que nous reconnaissons comme Seigneur et Roi-messie pour tous les peuples. Kyrie eleison.

Homélie

Bien chers amis.

La fête de l'Epiphanie n'a pas de correspondant dans le calendrier juif. C'est une fête nouvelle, née en Égypte. Là, les premiers chrétiens ont osé passer à une inculturation originale, dès le deuxième siècle de notre ère. C'est qu'en Égypte, 6 janvier, on célébrait le Nil et les eaux nouvelles qui descendaient de la région des grands lacs au cœur de l'Afrique. On allait au fleuve, prenait de l'eau et aspergeait les maisons avec joie : l'eau, c'est la vie ! Or les chrétiens ont situé ce jour-là le baptême de Jésus, le grand et premier moment de la vie publique de Jésus, la scène d'ouverture de l'évangile de Marc. Plus tard on y a associé les noces de Cana, avec l'eau changée en vin mais aussi la venue des Mages de l'Orient. En Occident, c'est ce dernier motif qui a pris le dessus et la fête du baptême, c'est pour dans huit jours, tandis que les noces de Cana ce sera pour dans quinze jours ! On dissocie ainsi ce qu'on avait une fois associé en un grand jour de fête, le 6 janvier !

On fête donc aujourd'hui la venue des Mages auprès de l'enfant nouveau-né à Bethléem.

La respiration biblique est vaste : on connaît le beau mouvement que saint Matthieu décrit tout à la fin de son évangile : «  Allez proclamer la bonne nouvelle à toutes les nations, et faites-en des disciples  » !

C'est le mouvement centrifuge, le mouvement missionnaire, facilement reconnaissable par l'élan qui a habité tant de congrégations, notamment depuis la fin du 19e siècle en Europe. Notre monastère - celui de Saint-André Bruges et celui de Saint-André Clerlande - illustre bien cette dimension universaliste de la vie chrétienne, par l'envoi de moines missionnaires au Brésil, au Congo, en Inde, en Chine.

Mais il y a un autre mouvement qui traverse les livres sacrés, un mouvement centripète, moins connu mais pas moins fondamental et bien présent en Matthieu : c'est celui où l'on viendra en pèlerins des extrémités de la terre vers le centre du monde, la ville sainte, Ierou-shalaïm, la «  vision de paix  », la Jérusalem selon le cœur de Dieu.

La première lecture tirée d'Isaïe 60 en parle. Et le Psaume 72 répercute la même vision : «  les rois de Saba et de Shéba viendront  ». Le prophète Sophonie a décrit ce mouvement comme un pèlerinage des humbles, des pauvres, des 'anawim, venant de toutes les nations. «  Je ne laisserai plus qu'un peuple humble sur ma sainte montagne  », dit le Seigneur. Ils monteront «  épaule contre épaule  », «  sous une épaule  », personne ne dominant personne ! Quelle perspective assez extraordinaire qu'on retrouve un peu partout dans le Premier Testament et notamment dans bien des Psaumes. Le Concile Vatican II reprendre cette vision quand elle parle du dialogue interreligieux, dans Nostra Aetate. Elle cite alors le passage de Sophonie : «  sous une seule épaule ils marcheront vers mon Lieu saint  ».

L'évangéliste Matthieu connaît ce mouvement, Jésus également quand il annonce dans l'Évangile : «  On viendra de l'Orient et de l'Occident, du Nord et du Sud pour s'asseoir à la table dans le Royaume, avec Abraham, Isaac et Jacob et avec tous les prophètes !  » Banquet festif qui réunit les quatre coins de l'horizon !

Or, à la naissance de Jésus, Matthieu nous décrit ce mouvement : on vient de fait des extrémités de la terre et on interroge le roi Hérode le Grand sur la naissance d'un nouveau «  roi des Juifs  ». Celui-ci est consterné et tout Jérusalem avec lui ! On vérifie dans les textes. Les sages de l'Orient avaient leur information par le langage universel des étoiles ; les sages de Jérusalem vérifient le message dans le langage rigoureux et particulier des Écritures. Dans le grand livre ils lisent que c'est «  à Bethléem  » que doit naître le roi messianique attendu, selon l'oracle de Michée le prophète.

Langage universel et langage particulier se confirment. La plénitude est sur la scène. Ils adorent. Et rentrent chez eux par un autre chemin. Ils deviennent des témoins, des missionnaires : le discours universel rebondit alors que le particulier frémit et cherchera à mettre la main, oui à éliminer par la violence cette vie nouvelle. L'Enfant échappera de justesse : le sauveur commence, comme dans le cas de Moïse, par être sauvé, avant de sauver à son tour. En réalité sa mort violente ne sera que partie remise... Son destin est celui de tout prophète : souffrir et être mis à mort avant de connaître la gloire.

En ce début de l'année, interrogeons-nous.

Quelle vision nous habite ? Matthieu, Isaïe et Paul dans la seconde lecture nous éduquent à une vision ouverte sur tout l'univers, appuyée sur les Écritures particulières. Nul n'est exclu. La tradition a vu ces Mages comme des représentants de toutes les cultures et races. Leurs trois dons ont suggéré chez les uns qu'ils étaient trois, avec des noms et des races : noire, jaune et blanche (Gaspar, Melchior et Balthasar). Mais chez les Syriens par exemple ils sont douze (comme les douze apôtres et les douze tribus du peuple Israël et les douze signes du zodiaque !), avec chacun également un nom propre. Ils offrent de l'or, et reconnaissent ainsi en l'enfant le roi ; ils offrent de l'encens et reconnaissent ainsi en l'enfant Dieu et ils offrent de la myrrhe, qui servira pour sa sépulture, il est né homme, et donc mortel comme nous tous. «  Roi  », «  Dieu  » et «  homme  », voilà ce que leurs dons expriment comme confession. L'un regarde l'étoile, c'est le plus jeune, l'autre adulte au milieu de la vie, montre son cœur mais l'ancien, le plus avancé en âge, est aussi le plus proche de l'Enfant : on le voit à genoux, baisant le pied de l'enfant. La connaissance progresse, de l'extérieur vers l'intérieur, et à l'intérieur vers l'adoration de l'absolu en cet Enfant. Voilà comment les Pères de l'Eglise et les artistes ont visualisé ce tableau, décrit une première fois par le grand évangéliste Matthieu.

Il existe même une tradition qui parle d'un Quatrième Roi mage. Il s'est perdu en cours route, cela peut arriver à nous tous, il arrive en retard à Jérusalem et interroge encore : «  où est le nouveau roi des Juifs ?  » Il est conduit à une montagne en dehors de la ville : il voit les yeux dans les yeux, le Roi des Juifs, avec l'écriteau, suspendu à une croix, et il entend, de façon inoubliable, on le raconte jusqu'à aujourd'hui dans les textes, ce que ce Roi a dit à un des deux larrons : «  Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis !  »

Venez adorons. Venez confesser et reconnaître celui qui dans sa fragilité, son humanité pauvre et marginale, sera appelé à devenir le sauveur du monde, l'agneau qui enlève le péché du monde. Laissons-nous inspirer par l'évocation de l'évangéliste et soyons à notre tour, au nom de ce Jésus, des mages, des sages messagers d'une bonne nouvelle pour le monde entier !

Que l'universel et le particulier se rejoignent ici et maintenant, dans notre accueil du frère, de la sœur, qui marche à côté de nous.

Lors d'un grand congrès interreligieux où l'on avait beaucoup parlé entre bouddhistes, chrétiens, hindous et musulmans, c'était au Japon, à la fin du siècle dernier, un moine Vietnamien qui était un peu las du trop de paroles, a sorti de sa robe une dessin, une mappemonde, avec les cinq continents. Il a déchiré le dessin devant tout le monde et demandé à un jeune de remettre les morceaux en ordre, tous ensemble comme un puzzle. C'était assez pénible. Puis leur a suggéré : retournez maintenant toutes les pièces, et ils virent des fragments d'un visage unique : deux yeux, un nez, une bouche, deux oreilles... Qui discerne en tout le visage de l'autre homme refera plus vite le monde dans son unité et sa paix qu'en essayant de recoller tous les cinq continents lacérés par les conflits et les guerres.

Bonne année à tous ! Paix sur terre, ici même, et jusqu'aux extrémités du monde. Amen.

Prions ensemble, nous tous ici réunis, que ce premier dimanche de l'année soit comme une étoile qui éclaire notre nuit et nous donne de marcher avec entrain sous la conduite de l'évangile de Jésus-Christ, en intercédant largement pour chaque être humain sur notre petite planète bleue.

Seigneur notre Dieu.

En Jésus tu as pris notre condition humaine et tracé un chemin de justice et de paix.

Réveille en nous cette ouverture d'esprit qui accueille en chaque enfant et en chaque étranger un éclat de ton Visage, pour que naisse un monde de fraternité où l'on marche épaule contre épaule en vue de ta paix, par Jésus le Christ notre Seigneur.

 

La gloire du Seigneur s'est levée sur toi

Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s'est levée sur toi. Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le Seigneur, sur toi sa gloire apparaît. Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. Lève les yeux alentour, et regarde : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur la hanche. Alors tu verras, tu seras radieuse, ton c?ur frémira et se dilatera. Les trésors d'au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des nations. En grand nombre, des chameaux t'envahiront, de jeunes chameaux de Madiane et d'Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l'or et l'encens ; ils annonceront les exploits du Seigneur.

- Parole du Seigneur.

Is 60, 1-6

Dieu, donne au roi tes pouvoirs, à ce fils de roi ta justice. Qu'il gouverne ton peuple avec justice, qu'il fasse droit aux malheureux !

En ces jours-là, fleurira la justice, grande paix jusqu'à la fin des lunes ! Qu'il domine de la mer à la mer, et du Fleuve jusqu'au bout de la terre !

Les rois de Tarsis et des Îles apporteront des présents. Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande. Tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront.

Il délivrera le pauvre qui appelle et le malheureux sans recours. Il aura souci du faible et du pauvre, du pauvre dont il sauve la vie.

Ps 71 (72), 1-2, 7-8, 10-11, 12-13

Il est maintenant révélé que les nations sont associées au même héritage, au partage de la même promesse

Frères, vous avez appris, je pense, en quoi consiste la grâce que Dieu m'a donnée pour vous : par révélation, il m'a fait connaître le mystère. Ce mystère n'avait pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées, comme il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l'Esprit. Ce mystère, c'est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l'annonce de l'Évangile.

- Parole du Seigneur.

Ep 3, 2-3a.5-6

Nous sommes venus d'Orient adorer le roi

Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l'orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. » En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui. Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ. Ils lui répondirent : « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Juda, car de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël. » Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l'étoile était apparue ; puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant. Et quand vous l'aurez trouvé, venez me l'annoncer pour que j'aille, moi aussi, me prosterner devant lui. » Après avoir entendu le roi, ils partirent.

Et voici que l'étoile qu'ils avaient vue à l'orient les précédait, jusqu'à ce qu'elle vienne s'arrêter au-dessus de l'endroit où se trouvait l'enfant. Quand ils virent l'étoile, ils se réjouirent d'une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l'or, de l'encens et de la myrrhe.

Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.

- Acclamons la Parole de Dieu.

Mt 2, 1-12