Une homélie de fr. Pierre de Béthune
Mais il était bon de commencer cette veillée en rappelant comment nous en sommes arrivés là. La liturgie nous a retracé l'histoire de Dieu parmi les hommes. C'est toujours impressionnant d'entendre toute cette Histoire Sainte, depuis la Création, puis, avec le passage de la Mer Rouge, la première image de notre libération de la mort, l'annonce du Royaume, avec David et puis l'exil et les Prophètes. À travers toutes ces péripéties, nous voyons comment Dieu donne la vie, la redonne inlassablement et, finalement, nous voyons comment il la donne en Jésus, par toute sa vie parmi nous, par sa mort et sa Résurrection au matin de Pâques.
Mais faut-il s'arrêter là, en l'année 30 ?
Comme nous l'avons chanté durant tout le Carême : « Jésus Christ, ami des hommes, l'Église vit de ta mémoire, (mais) les yeux fixés sur l'avenir ». Nos yeux ne sont pas fixés sur l'année 30. Car Jésus « donne sens à notre histoire », — et pas seulement à l'Histoire de l'Antiquité.
D'ailleurs, si la fête de Pâques n'était que la commémoration d'une évènement du passé, la foi ne serait même pas nécessaire. En effet, la Résurrection est un fait historique, — je ne dis pas la façon dont les évangélistes la décrivent, mais le fait que ces disciples, des gens assez ordinaires, pas très courageux, ont soudain reçu une force qui les a propulsés par le monde, pour annoncer et réaliser l'évangile est inouï. Le cours de l'histoire en a été changé. C'est un constat que font tous les historiens : il s'est passé là quelque chose d'inexplicable. Notre foi ne consiste donc pas à admettre un fait historique, mais bien à y voir la présence renouvelée du Seigneur Jésus, le Vivant, sa présence et la force de son Esprit, — qui sont toujours à l'oeuvre aujourd'hui.
Ce que nous célébrons ce soir est en effet la continuation parmi nous de cette force de résurrection, à laquelle nous voulons collaborer. C'est donc dans l'histoire de cette année 2021 que nous devons situer notre participation à la vie nouvelle reçue du Christ. Il s'agit de notre histoire personnelle, de l'histoire de notre communauté, de nos amis qui suivent peut-être de loin cette célébration, mais plus largement encore, nos compatriotes, nos frères de Mambré, tous nos frères en humanité dans ce vaste monde, partout en souffrance. Bien que confinés dans cette chapelle, nous ne pouvons pas célébrer cette fête entre nous, à huis clos. Cette année, plus que jamais, c'est en communion avec tous nos frères les hommes que nous célébrons la Pâque.
Quelle est alors la foi au Christ ressuscité que nous vivons aujourd'hui, dans ce contexte tout particulier ? Que nous dit l'évangile ?
Jésus est mort et ressuscité à Jérusalem, mais, comme nous avons entendu, il a envoyé ses disciples en Galilée, leur région d'origine, 'carrefour des nations', comme on l'appelle, là où ils accomplissaient leur tâche ordinaire. Mes soeurs, mes frères, c'est encore là qu'« il nous précède », dans notre Galilée, notre carrefour de toutes les nations, les cultures et les religions. C'est là, dans notre vie ordinaire, que nous aussi, nous pouvons rendre témoignage de la résurrection.
Or la Résurrection n'est pas seulement une vérité, un dogme à confesser, elle est un appel, un programme de vie. Oui, elle est une tâche à réaliser. Nous ne devrions pas seulement conjuguer ce verbe 'ressusciter' au mode passif. C'est vrai, le Christ a été ressuscité par le Père, et nous avons été ressuscités par le Christ. Mais nous devons aussi prier l'Esprit de Jésus, pour qu'il nous permette de ressusciter (activement) à notre tour nos frères et soeurs, quand ils en ont besoin, pour qu'il nous donne la force pour relever celui qui faiblit, la douceur pour réveiller ceux que la routine assoupit, la joie rayonnante pour redonner goût à la vie, l'élan pour remettre debout, la patience pour éduquer, faire grandir autour de nous le courage et le générosité. Ce sont là toutes les formes de résurrection qui nous sont proposées, que nous pouvons réaliser, recréer dans notre Galilée ordinaire.
Ces expériences de résurrection sont rarement spectaculaires. Nous associons le plus souvent l'action du Christ, en en particulier sa résurrection, à des manifestations de triomphe. Mais en faisant ainsi nous l'éloignons de notre vie réelle — et nous nous dispensons de prendre ses appels au sérieux, concrètement. Or le seul témoignage qui soit vrai et convainquant est celui de notre vie toute simple, (mais) qui peut rayonner une lumière merveilleuse, presqu'à notre insu. C'est ainsi seulement que nous pouvons continuer l'évangile dont l'évangéliste Marc a interrompu le récit, puisqu'il nous a passé la main, en quelque sorte, et nous a demandé de donner nous-mêmes une suite au miracle de l'amour de Dieu parmi nous, de la donner ici, maintenant, en communion avec le vaste monde qui nous entoure.
Nous ne devons donc pas être intimidés par les images grandioses de l'iconographie catholique qui nous montrent le Christ jaillissant du tombeau en triomphateur, tandis que les gardes à ses pieds sont prostrés, atterrés. Non ! nous sommes appelés à vivre la Résurrection à notre échelle, petite, modeste, mais pleine de grâce, parce que le Seigneur Jésus nous y précède toujours. Et une des manières les plus spécifiques de vivre la Résurrection consiste précisément à dépasser la peur, la peur que les saintes femmes myrophores ont ressenti en découvrant le tombeau vide, la peur de tant de personnes accablées, blessées, angoissées devant l'avenir incertain. Demandons la grâce d'être nous-mêmes libérés de la peur pour pouvoir relever, 'ressusciter' ces personnes prostrées, de le faire sans optimisme béat, mais avec la force de l'Esprit saint.
Mais il faut aussi chanter notre foi dans la Résurrection et l'attester dans la prière. Pour continuer cette célébration, nous allons donc rallumer nos cierges pour proclamer cette foi et redire notre engagement pour l'évangile. Ensuite, nous allons rendre grâce au Seigneur qui nous précède toujours en célébrant l'eucharistie. Et nous savons que le partage du pain, sera déjà une façon de vivre le partage de toute notre vie au nom du Christ, une communion à sa vie offerte pour la multitude.