Une homélie de fr. Pierre de Béthune
Les trois derniers dimanches nous avons entendu des paraboles. À présent, il s'agit de les mettre en oeuvre. « Donnez-leur vous-mêmes à manger ! »
À la fin de son discours en paraboles, Jésus nous invitait en effet à être comme ce « maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l'ancien ». L'ancien, la lecture traditionnelle du récit de la multiplication des pains, c'est, me semble-t-il, admirer ce miracle extraordinaire que Jésus a fait ce jour-là, comme un merveilleux prestidigitateur qui sort des petits pains de sa manche, pour donner à manger à tout le monde, l'ancien c'est nous dire. « Ça nous ne pourrons jamais le faire ! » — et nous rentrons à la maison, résignés.
Mais ce serait oublier que Jésus nous demande précisément : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ! ». Oui, mes frères, mes soeurs, c'est désormais à nous de jouer ! Si nous voulons tirer du nouveau du trésor de l'évangile, il ne suffit pas d'admirer Jésus, il faut faire comme lui, aujourd'hui.
Mais, comment ? direz-vous. Nous n'avons rien à donner, ou si peu : cinq petits pains et deux poissons : trois fois rien !
Rappelons-nous alors l'enseignement des paraboles. Ce qui les caractérise presque toutes est d'abord le contraste, la disproportion entre ce qui est semé et ce qui est récolté : une petite graine qui devient un arbre ; un peu de levain qui fait lever toute la pâte ; le bon grain qui produit le centuple ; un bout de terrain qui contient un trésor, une perle fine qui vaut beaucoup plus que toute ma fortune. Ces paraboles sont en effet toutes un appel à la foi, pour qu'advienne le Royaume. Et la foi ne consiste pas à adhérer à des vérités invérifiables, immuables, — 'impensables' (Jospeh Moingt) ; elle consiste à faire confiance en la puissance de Dieu qui fera croître la petite semence que nous avons engagée ; la foi consiste à nous engager personnellement dans cette oeuvre de Dieu au service des humains. Même si nous n'avons pas grand-chose à donner, l'oeuvre de Dieu consiste à « donner de son indigence » (comme la pauvre veuve dans le Temple qui met deux piécettes dans le tronc), et accueillir ainsi le Royaume.
Mais le récit de la multiplication des pains nous donne encore une clé essentielle pour comprendre et pour mettre en oeuvre ces paraboles. Il y est dit que « Jésus fut saisi de pitié devant cette foule » et l'évangéliste Marc précise « parce qu'ils étaient comme des brebis sans berger ». Pour nous engager résolument dans ce service, il nous faut être motivé par une grande compassion. La foi seule ne suffit pas ; elle doit être portée par l'amour.
En situant ainsi le récit de la multiplication des pains dans l'ensemble de l'enseignement de Jésus, nous pouvons bien saisir l'appel que l'évangile nous y adresse. Par ce récit qui peut paraître anecdotique au premier abord, c'est tout l'évangile qui nous est proposé.
Il s'agit de partager pour multiplier.
Nous n'avons pas grand-chose à apporter, mais Dieu aime multiplier le peu que nous donnons. En fait, il n'aime pas tellement additionner les richesses, les préceptes, les mérites, le compte des péchés, mais il veut multiplier les chances, la grâce, la joie, la vie. Dès le premier chapitre de la Genèse, il dit : « Croissez et multipliez-vous ! ». Jésus est venu pour que nous ayons la vie en abondance.
Or, comme nous le voyons dans l'évangile d'aujourd'hui, c'est en partageant que l'on multiplie. Mais ça dépend évidemment de ce que l'on partage : notre avoir ou notre être. Le partage de ce que nous avons, d'une tarte, par exemple, ce partage la divise en parts d'autant plus petites quelles sont nombreuses. On ne peut pas la partager indéfiniment. Au contraire, le partage de ce que nous sommes, le partage du vrai amour le multiplie. Les parents donnent tout leur amour à leur enfant ; s'ils en ont deux, ils donneront aux deux l'entièreté de leur amour ; s'ils en ont quatre, chacun ne recevra pas un quart, mais l'entièreté de leur amour. Le vrai amour grandit en se partageant.
C'est cela que nous enseigne la multiplication des pains. Les petits pains que Jésus distribue sont l'image de son amour offert à chacun, inépuisable. Si donc nous aussi nous sommes « pris de compassion », même si nous n'avons pas grand-chose, ce que nous apportons peut beaucoup. Il faut toujours joindre cette foi à notre amour : la foi dans la puissance créatrice du peu que nous donnons, de notre attention, notre temps, notre présence. C'est ce que dit saint Paul : « Nous avons cru dans l'amour ». Et aux chrétiens de C orinthe il précisait : « que chacun donne selon la décision de son coeur, sans chagrin ni contrainte, car Dieu aime celui qui donne avec joie ». Car « le service de ce partage ne fera pas que combler les besoins des autres, il fera aussi abonder les actions de grâce (l'eucharistie) envers Dieu ».
Vous avez noté comment, dans son récit, l'évangéliste Matthieu décrit avec précision les gestes de Jésus, les gestes de l'eucharistie, la 'fraction du pain'. « Il prit les cinq pains (et les deux poissons), et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction : il rompit les pains, il les donna aux disciples, et les disciples les donnèrent à la foule ». Mes soeurs, mes frères, il en va de même aujourd'hui : rassemblés ici autour de l'autel, nous ne faisons pas qu'assister à la messe, nous participons au don que Jésus y fait de lui-même. Et s'il a donné le pain à ses disciples, c'était pour que les disciples le donnent à leur tour à la foule. Oui, comme nous avons reçu, nous pouvons nous aussi nous donner à tous ceux qui nous entourent, tous ceux qui comptent sur nous et qui attendent de nous leur pain quotidien d'amour, — un amour toujours davantage donné, multiplié.
Ainsi parle le Seigneur : Vous tous qui avez soif, venez, voici de l'eau ! Même si vous n'avez pas d'argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait sans argent, sans rien payer. Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez-moi bien, et vous mangerez de bonnes choses, vous vous régalerez de viandes savoureuses ! Prêtez l'oreille ! Venez à moi ! Écoutez, et vous vivrez. Je m'engagerai envers vous par une alliance éternelle : ce sont les bienfaits garantis à David.
- Acclamons la Parole de Dieu.
Is 55, 1-3
Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d'amour ; la bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses ?uvres.
Les yeux sur toi, tous, ils espèrent : tu leur donnes la nourriture au temps voulu ; tu ouvres ta main : tu rassasies avec bonté tout ce qui vit.
Le Seigneur est juste en toutes ses voies, fidèle en tout ce qu'il fait. Il est proche de tous ceux qui l'invoquent, de tous ceux qui l'invoquent en vérité.
Ps 144 (145), 8-9, 15-16, 17-18
Frères, qui pourra nous séparer de l'amour du Christ ? la détresse ? l'angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le glaive ? Mais, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. J'en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l'avenir, ni les Puissances, ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur.
- Parole du Seigneur.
Rm 8, 35.37-39
En ce temps-là, quand Jésus apprit la mort de Jean le Baptiste, il se retira et partit en barque pour un endroit désert, à l'écart. Les foules l'apprirent et, quittant leurs villes, elles suivirent à pied. En débarquant, il vit une grande foule de gens ; il fut saisi de compassion envers eux et guérit leurs malades.
Le soir venu, les disciples s'approchèrent et lui dirent : « L'endroit est désert et l'heure est déjà avancée. Renvoie donc la foule : qu'ils aillent dans les villages s'acheter de la nourriture ! » Mais Jésus leur dit : « Ils n'ont pas besoin de s'en aller. Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Alors ils lui disent : « Nous n'avons là que cinq pains et deux poissons. » Jésus dit : « Apportez-les moi. » Puis, ordonnant à la foule de s'asseoir sur l'herbe, il prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction ; il rompit les pains, il les donna aux disciples, et les disciples les donnèrent à la foule. Ils mangèrent tous et ils furent rassasiés. On ramassa les morceaux qui restaient : cela faisait douze paniers pleins. Ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille, sans compter les femmes et les enfants.
- Acclamons la Parole de Dieu.
Mt 14, 13-21