Homélie du 14 septembre 2025

 Il faut que le Fils de l'homme soit élevé 

La Croix Glorieuse -

Une homélie de fr. Emmanuel Verhaegen

Homélie :
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Un commentaire d'Evangile de Raphaël DACHELET

La Croix Glorieuse, ou la foi des oxymores

Introduction, la fête de la Sainte Croix

Frères et sœurs.

Aujourd'hui, c'est donc la fête de l'exaltation de la Sainte Croix, fêtée par les catholiques tout comme les orthodoxes. Pour tout vous avouer, ça ne m'arrangeait pas tellement que Pierre m'ait confié cette homélie. Je ne connaissais pas cette fête, et je ne connaissais pas l'histoire de sainte Hélène, la mère de l'Empereur Constantin, qui serait parti en pèlerinage à Jérusalem et qui aurait fait creuser sur le mont Golgotha pour y retrouver les croix de Jésus et des deux larrons.

Mais surtout, pour être franc, la croix n'est pas un symbole que j'ai beaucoup de facilité à m'approprier. J'ai longtemps fait partie de ceux qui trouvent que les crucifix rendent les églises triste et morbide. Je me souviens même avoir suggéré un jour que, si l'on voulait accueillir de nouveaux venus dans les églises, la première chose à faire serait peut-être de retirer la grande croix qui se trouve en plein centre.

J'ose le dire, parce que j'imagine que je ne suis pas le seul à être parfois un peu embarrassé par la croix. Si Saint Paul lui-même disait qu'elle était un scandale et une folie aux yeux de bien des gens, j'imagine qu'aujourd'hui encore certain on de la peine, comme moi, à assumer pleinement ce scandale de la foi chrétienne.

Elle est connue, tellement connue la critique qui dit que le christianisme est une religion qui exalte la souffrance, le sacrifice, l'oubli de soi jusqu'à se laisser malmener, écraser, martyriser. Et la justification elle aussi est connue, tellement connues : « Regardez leurs crucifix, qu'ils adorent avec ferveur... ils contemplent la souffrance et prennent pour symbole un instrument de torture »

La croix est centrale

Il faut le reconnaître, c'est une critique qui tient la route : La croix est bel et bien un instrument de mort, et elle est bien centrale dans le christianisme. J'ai même parfois l'impression qu'on oublie à quel point elle est centrale. Elle est tellement omniprésente, qu'on ne la remarque plus. La croix est bien plus présente que l'eucharistie. On fait le signe de croix pour commencer et clôturer chacune de nos prières. On porte des croix autour du cou, à nos poignets, sur nos chapelets. Il y a une croix au centre de chaque église, et les églises elles-mêmes ont pour la plupart une forme de croix. La croix est partout.

Et d'ailleurs dans le Credo, en ce qui concerne la vie de Jésus, on ne parle que de la croix, et rien d'autre, même pas l'eucharistie. Nous disons « Je crois en Jésus Christ, son fils, qui a été conçu du Saint Esprit, est né de la vierge Marie... et puis nous aussitôt a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli » . Comme si tout ce qui avait précédé n'importait pas.

Alors pourquoi est-ce si important ? Pourquoi s'embarrasser à ce point d'un symbole si funèbre ?

La question essentielle

La réponse la plus classique, vous la connaissez comme moi : la croix est l'instrument par lequel Jésus a racheté nos péchés par son sacrifice. Elle est donc le signe de l'amour de Dieu et de notre rédemption. Elle est l'instrument du Salut.

Mais moi, j'ai un léger problème, c'est que je ne comprends pas. Je ne comprends pas en quoi la mort de Jésus aurait un impact sur les fautes que je commets aujourd'hui. Je ne comprends pas en quoi la croix est sensé me sauver. Et nous sauver. Je ne vois pas de quel façon.

Et pourtant, il faut bien une explication, parce que cette croix est réellement l'épicentre du christianisme. C'est le nœud, le point central autour duquel tout s'organise ensuite.

Une piste

Je reconnais ne pas avoir trouvé la clé du mystère. Mais je n'arrive pas à me satisfaire de l'idée d'y accorder ma foi, sans comprendre, au moins un peu. J'ai donc cherché une piste d'explication pour cette homélie. Je vous la partage ici.

Reprenons les lectures du jour :

Dans le Livre des Nombres, le peuple est sauvé en regardant le serpent de bronze brandi par Moïse. Ce qui rendait les serpents dangereux, c'était de pouvoir agir dans l'ombre, en dehors du regard et de la connaissance de leur victime. C'est peut-être effectivement ce qui rend le péché dangereux dans nos vies, c'est qu'il agit dans nos angles morts, dans nos zones d'ombres, là où nos regards ne portent pas, où là où nous refusons de porter notre regard.

Le peuple d'Israël est sauvé par le regard. Il est sauvé parce que Moïse lui permet de regarder la lumière et la vérité, qui embrasse tout, même l'obscurité.

Et si la croix de Jésus nous sauvait elle-aussi par le regard ? Si la croix, nous permettait de découvrir une vérité qui embrasse tout : la grandeur et la faiblesse de l'être humain, toute la lumière et toute l'obscurité de l'existence ? En un mot, et si la croix nous sauvait en nous révélant le mystère de ce que nous sommes ?

Que sommes-nous ?

Alors que sommes-nous ? Il me semble que la Bible donne deux réponses radicalement opposées, dans une tension, presque insoutenable.

D'un côté, ce que nous sommes, c'est de la poussière. Nous sommes poussière, et nous retournerons à la poussière. Nos jours passent comme l'herbe, le vent passe et nous ne sommes plus. Bientôt il ne reste plus aucun souvenir de nous. Nous sommes des passants, un soupir, et puis plus rien. Et cela est vrai. C'est évident. Au regard de l'histoire de toute l'humanité, nous sommes complètement insignifiants. Nos existences, nos actions, nos préoccupations, pourraient ne jamais avoir lieu, l'histoire du monde en demeurerait inchangé. Notre vie n'est que vanité. C'est une réponse de la Bible. Ce n'est pas la plus agréable à écouter, mais il me semble qu'elle comporte sa part de vérité.

D'un autre côté, la Bible dit aussi que nous sommes à l'image de Dieu. Nous portons en nous sa grandeur, sa gloire, sa bonté, son amour. Nous sommes des êtres merveilleux, des miracles vivants, des signes de tout l'amour de Dieu. Nous sommes des enfants de lumière. Des enfants de Dieu. Destiné à vivre auprès de Lui, dans la lumière pour l'éternité. Et ça, évidemment, c'est une réponse qui est plus facile à écouter.

Le mystère de la Croix

Là où la Croix est fascinante, c'est qu'elle montre tout cela, elle rassemble tout, dans ces états les plus extrêmes. La tension entre la pauvreté et la gloire de l'être humain, n'est jamais aussi radicale que lors de la pension. Jésus est acclamé comme un roi, puis arrêté comme un voleur, il monte jusqu'au palais de Jérusalem pour redescendre jusqu'au pied des remparts de la ville, il est couronné et il est humilié, il est intronisé et il est destitué.

La tension entre la misère et la gloire humaine ne pourrait pas être plus grande. Et elle ne cesse de grandir, jusqu'à l'instant de la crucifixion. Et c'est comme si à ce moment-là, tout se déchirait. Tout à coup, la misère et la gloire humaine se trouvent visibles en même temps. Comme si les deux faces d'une même pièce se rendaient visibles simultanément. Toute la grandeur de l'une révèle tout la grandeur de l'autre. Tout est visible ensemble.

La gloire de l'homme n'efface pas sa misère, pas plus que sa faiblesse n'annule sa grandeur. Au contraire, elles sont le pendant l'une de l'autre.

Sur la croix, Jésus est roi et esclave.
Il est au plus haut et il est au plus bas.
Il est vaincu et il est vainqueur.

C'est comme un oxymore - pour ceux qui se rappellent de leur cours de français - des contraires mis au regard l'un de l'autre, et qui font voir la réalité d'une façon toute renouvelée.

Et voilà ce que cela dit de nous :
Oui, nous sommes poussière, mais quelle merveilleuse poussière !
Oui, nos existences passent en un instant, mais quelle lumière peut briller dans cet instant si bref !
Oui, nos vies sont fragiles comme un souffle, mais quelle grandeur peut habiter ce souffle !
Nous sommes tout cela : gloire et misère. Les deux à la fois.

La Croix glorieuse

Voilà ce que je commence à voir lorsque je regarde la croix : la mort et la vie, inséparables comme les deux faces d'une même pièce, visible en même temps. Comme un magnifique oxymore qui reprend toute la grandeur et la fragilité humaine, réconciliée, rassemblée en un même point. Une grande récapitulation. Une réponse mystérieuse à la question qui demande ce que nous sommes et pourquoi nous sommes là.

J'y vois le nœud de toute la foi chrétienne. Il n'est certes pas facile à s'approprier, ni à assumer. Mais je pense que ça vaut la peine d'essayer, et de demander à Dieu la grâce de comprendre toujours un peu plus ce mystère de notre foi.

 

Celui qui regardait vers le serpent de bronze restait en vie !

En ces jours-là, en chemin à travers le désert, le peuple perdit courage. Il récrimina contre Dieu et contre Moïse : « Pourquoi nous avoir fait monter d'Égypte ? Était-ce pour nous faire mourir dans le désert, où il n'y a ni pain ni eau ? Nous sommes dégoûtés de cette nourriture misérable ! » Alors le Seigneur envoya contre le peuple des serpents à la morsure brûlante, et beaucoup en moururent dans le peuple d'Israël. Le peuple vint vers Moïse et dit : « Nous avons péché, en récriminant contre le Seigneur et contre toi. Intercède auprès du Seigneur pour qu'il éloigne de nous les serpents. » Moïse intercéda pour le peuple, et le Seigneur dit à Moïse : « Fais-toi un serpent brûlant, et dresse-le au sommet d'un mât : tous ceux qui auront été mordus, qu'ils le regardent, alors ils vivront ! » Moïse fit un serpent de bronze et le dressa au sommet du mât. Quand un homme était mordu par un serpent, et qu'il regardait vers le serpent de bronze, il restait en vie !

- Parole du Seigneur.

OU BIEN

Nb 21, 4b-9

Il s'est abaissé : c'est pourquoi Dieu l'a exalté

Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu.

Mais il s'est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes.

Reconnu homme à son aspect, il s'est abaissé, devenant obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la croix.

C'est pourquoi Dieu l'a exalté : il l'a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom,

afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers,

et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père.

- Parole du Seigneur.

Ph 2, 6-11

Il faut que le Fils de l'homme soit élevé

En ce temps-là, Jésus disait à Nicodème : « Nul n'est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme. De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l'homme soit élevé, afin qu'en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. Car Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé.

- Acclamons la Parole de Dieu.

Jn 3, 13-17