Une homélie de fr. Pierre de Béthune
On ne parle pas beaucoup aujourd'hui du « salut de Dieu. » Le désirons-nous, l'attendons-nous ? Et d'abord, qu'est-ce que ce 'salut' ?
On en parlait beaucoup au XIXème siècle, comme il apparaît dans les petits livres de dévotion qui encombrent notre bibliothèque. Il y était partout question de notre péché, de notre incapacité, de notre indignité devant Dieu et de notre besoin absolu de salut, libération de nos péchés et salut éternel. Bref une spiritualité pour nous accompagner en cette vallée de larmes. On comprend que Nietzsche ait adressé aux chrétiens cette fameuse apostrophe : « Ces disciples du Sauveur devraient avoir un air un peu plus sauvé ! »
Mais les mentalités ont évolué. Grâce à de grands témoins engagés, comme Bonhoeffer, les chrétiens ont repris conscience de leur dignité, de leur force et de leur responsabilité. Mais on est alors passé à l'autre extrême. Finalement, aujourd'hui, avec la sécularisation généralisée, on ne parle plus beaucoup du salut, parce qu'on a l'impression qu'on n'en a plus tellement besoin : « Merci ! c'est gentil, mais on se débrouille bien comme çà... On ne doit plus prier pour la pluie. Qui penserait encore à prier contre le réchauffement climatique ? Car nous savons bien que c'est à nous de nous sauver de la catastrophe... »
Alors, « le salut de Dieu » dans notre vie ?
Il en est partout question, dans la Bible, et plus particulièrement dans le Nouveau Testament. A Noël les anges annoncent au bergers « Aujourd'hui vous est né un Sauveur ». Déjà, lors de l'annonce de la naissance de Jésus à Joseph, il lui est demandé de donner au fils de Marie « le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple ». En effet, le nom de Jeshoua signifie 'Dieu sauve'. On pourrait continuer ainsi, à travers tout le Nouveau Testament, et jusqu'aux derniers versets des Actes de Apôtres ou Luc signale, en citant encore Isaïe, que « le salut de Dieu » est désormais annoncé aux païens. Cette expression revient constamment. Elle récapitule en quelque sorte l'Évangile.
Mais comment pouvons nous entendre aujourd'hui cette Bonne Nouvelle du salut offert ?
Revenons d'abord à l'évangile de ce dimanche qui nous présente la figure de Jean-Baptiste. L'évangéliste Luc nous dit qu'il est venu pour annoncer ce salut. Mais il faut reconnaître que ce passage n'est pas très explicite. Ailleurs, heureusement, dans l'évangile de saint Jean, nous est révélée l'expérience intérieure du Baptiste, le rayonnement de ce salut sur sa propre vie : « l'ami de l'époux se tient là, il l'écoute, et la voix de l'époux comble de joie. Telle est ma joie, elle est parfaite ». Il est allé jusqu'au bout de sa mission, et là il a trouvé une joie imprenable.
Oui, une vie donnée est une vie sauvée. Quand nous allons jusqu'au bout de nos forces, nous découvrons la grâce de Dieu, le salut de Dieu.
Mes frères, mes soeurs, je crois que nous avons là effectivement une expérience du salut de Dieu. Ce salut est pour nous un surcroît de vie. Il nous sauve de la médiocrité et nous permet de donner notre pleine mesure. Je pense ici à la célèbre pensée de Pascal : « L'homme passe infiniment l'homme ». Et c'est dans ce dépassement que nous sommes vraiment nous-mêmes. Nous n'oublions pas pour autant que tout don précieux vient de Dieu, parce que, pour réaliser ce dépassement, nous nous trouvons démuni, et nous prions alors avec le psalmiste : « Au rocher trop haut pour moi, conduis-moi ». Nous appelons le Seigneur et nous attendons son salut. Seulement nous savons qu'il ne s'agit pas là d'une intervention extérieure qui nous retirerait de notre misère congénitale. Non ! ce don est une énergie insoupçonnée que l'Esprit éveille en nous et qui nous permet d'enfin répondre à son appel.
Le salut éternel est évidemment décisif, mais il ne faut pas attendre notre trépas pour faire l'expérience de son rayonnement, ici et maintenant. Et cela est aussi décisif pour notre vie. En préparant cette homélie, hier matin, vers 8 h., je voyais un ciel parfaitement lumineux, comme cela arrive quelquefois en hiver. Le soleil n'était pas encore apparu, mais tout le firmament était embrasé, mauve, rose, blanc éclatant. La joie parfaite, telle que Jean-Baptiste l'a connue, est un tel rayonnement, comme aussi, pour nous, l'expérience d'une miséricorde infinie, la confiance éperdue que nous recevons parfois, une bénédiction jamais reprise, la simplicité bénie, et grâce sur grâce. Les autres lectures de ce dimanche, de Baruc et de saint Paul aux Philippiens débordent également de cette joie.
Saint Luc dans l'évangile que nous entendons durant toute cette année, révèle encore une autre forme de salut, très particulière, ? et dont nous pouvons très bien faire l'expérience. C'est la rencontre. Tout au long de son évangile, il raconte de merveilleuses rencontre : l'ange Gabriel et Marie, la visitation de Marie à Élisabeth, Siméon qui reçoit l'enfant Jésus, au temple, le Samaritain qui découvre l'homme blessé, Jésus et Marie, la soeur de Marthe. On pourrait encore énumérer d'autres rencontres de Jésus, comme celle avec Zachée, et, ce jour là, « le salut est venu sur sa maison ». Et il est significatif que c'est en rencontrant des disciples en route vers Emmaüs, qu'il leur révèle le sens de sa passion et de sa résurrection.
Oui, les rencontres auxquelles nous sommes, nous aussi, constamment appelés, l'accueil mutuel, l'hospitalité, sont des occasions de dépassement offertes au coeur de notre vie ordinaire, des expériences de grâce et de salut. Ce temps de l'Avent est le temps de l'attente de la rencontre. Mes soeurs, mes frères, regardons autour de nous ceux qui attendent de nous une rencontre, ou une nouvelle rencontre pour ceux qui nous sont les plus proches. C'est là que nous trouverons le plus sûrement le salut de Dieu.