Une homélie de fr. Yves de patoul
Une voix qui crie dans le désert, si on en croit l'adage populaire, elle ne peut pas nous dire grand 'chose. Et de plus cette voix insulte les passants : « engeance de vipère qui fuit la colère de Dieu ! » et « tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu. » Cette voix est celle du Baptiste, il dit encore : « Un autre plus fort que moi viendra, il vous baptisera dans l'Esprit Saint ; il tient en main la pelle à vanner ; il amassera le grain dans son grenier, et la paille il la brûlera au feu éternel ». Et pourtant cette voix menaçante est bien celle du prophète Jean Baptiste qui nous enseigne la conversion pour la venue proche du Messie et du nouveau royaume qu'il va instaurer. Oui, Jean Baptiste a quelque chose à nous dire, mais peut-être à la condition de dépoussiérer son image, celle d'un mystique perdu dans le désert qui proclame un message tellement radical que plus personne ne l'écoute, à condition aussi de voir et d'admettre des transpositions dans notre monde qui, selon une vision à la Emmanuel Todd ressemblerait à un véritable désert où dans une Église sans prêtre et sans religieux il n'y aurait plus que des zombies, des chrétiens qui n'ont plus que le nom mais qui n'ont plus aucune ferveur religieuse capable de changer ce monde, un monde qui leur donne de bien vivre égoïstement.
Ce travail de dépoussiérage peut prendre différentes directions. Commençons par celle qui consiste à scruter les Écritures saintes. Celles-ci ne cessent jamais de nous étonner quand on les approfondit. En elles tout a un sens. Ainsi par exemple les poils de chameau dont notre prophète est revêtu. Porter un vêtement en poils de chameau a de nombreuses significations : le prophète Élie en portait un avec la même ceinture de cuir, lui dont le retour marquera la venue du Messie : « Voici que je vais vous envoyer le prophète Élie avant que vienne le jour du Seigneur, Jour grand et redoutable » (Ml 3,23).
En ces temps-là, le chameau était un signe de richesse : plus on en a, comme Job qui en avait 3.000 avant et 6.000 après ses déboires avec le Satan, ou comme la reine de Saba qui arriva avec une grande suite de chameaux chargés d'aromates et de pierres précieuses pour se prosterner aux pieds de Salomon et se mesurer à lui qui avait 700 épouses et 300 concubines, et plus on est riche. Riche pas seulement en apparence mais aussi aux yeux de Dieu. La richesse était une bénédiction de Dieu. « Porter des poils de chameau implique qu'on a tué l'animal, qu'on a éteint dans son cœur l'amour de la richesse qui gouverne les puissants de ce monde. Jean-Baptiste n'a que les poils, non les troupeaux, écrivait un érudit ». Le chameau est aussi un animal impur qui symbolise les nations païennes, impures. En se couvrant de poils de chameau, Jean Baptiste se solidarise avec les nations païennes à qui le salut est offert par le Messie qui vient.
Tous les détails ont leur importance, ils ont une signification possible ; ainsi les sauterelles qu'il mangeait. Les sauterelles sont le huitième des 9 fléaux infligés à l'Égypte pour libérer les Israélites de son joug. Il y a même une citation qui associe les chameaux aux sauterelles : « Ils arrivaient avec leurs troupeaux et leurs tentes, comme une multitude de sauterelles. Eux et leurs chameaux étaient innombrables, et ils envahissaient le pays pour le ravager » (Jg 6,5 ; 7,12) Manger des sauterelles c'est comme engloutir ce qui nous dévore, se nourrir de ce qui nous menace.
Et que dire du miel sauvage dont Jean Baptiste se délectait ? Il est le symbole de la Parole de Dieu. On en trouve un peu partout dans toutes les cultures ; il est un don gratuit de Dieu. Et comme dit le psalmiste : « Qu'elle est douce à mon palais ta promesse : le miel a moins de saveur dans ma bouche ! » (Ps 118,103). La Parole de Dieu réjouit les entrailles de celui qui l'ingurgite mieux que le fait le miel qui est pourtant si bon (Ezéchiel, Apocalypse).
Frères et sœurs, nous sommes appelés à vivre un Avent « aux poils », en commençant peut-être par nous rassasier de la Parole de Dieu qui nous offre tant de belles surprises. Après ce petit exercice de lectio divina dans lequel nous avons tiré de l'évangile quelques petites perles qui ont nourri notre sens spirituel, poursuivons notre dépoussiérage en prêtant attention au message que notre héros délivre dans le désert. Il a été question de richesses à laquelle Jean Baptiste renonce. Rappelons-nous encore ce que Jésus disait en réplique au jeune homme riche qui avait observé tous les commandements : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu » (Mc 10,25). Notons que Isaïe disait, dans le contexte du retour d'exil : « Dans le désert, une voix crie : préparez le chemin du Seigneur ». En inversant la phrase ('une voix crie dans le désert') on passe à côté du sens primitif qui est très positif. Le prophète, qu'il s'agisse d'Isaïe ou de Jean Baptiste, est bien suivi par un grand nombre de personnes. Ici dans le Jourdain, ils sont nombreux à se convertir en entendant la prédication de Jean, ils se font baptiser et ils reconnaissent leurs péchés. Pourquoi ne les suivrions-nous pas ? Notre attention est attirée sur les pharisiens et les sadducéens qui ne produisent pas de fruit de conversion.
Pour ne pas subir les mêmes reproches que leur adressait le prophète, des conseils nous sont donnés : quitter nos habitudes, se laisser interpeller par les prophètes de notre temps qui sont solidaires des immigrés, des étrangers, des sans-papiers. Les baptisés que nous sommes tous héritent de la mission de crier dans le désert, de vivre l'évangile comme un message qui nous met debout, qui nous demande peut-être de manger des sauterelles et du miel sauvage à la place des produits de luxe que nous chérissons tant. La vie sociale que nous observons et que nous critiquons facilement a besoin de nous chrétiens, de toutes nos énergies pour redresser ses torts. « Accueillez-vous les uns les autres comme le Christ vous a accueillis pour la gloire de Dieu » nous recommandait saint Paul. La transition écologique que le pape François et tant d'autres voix proclame comme une nécessité urgente, mettons-la en pratique par des décisions courageuses que nous pourrions élaborer ensemble. Lançons-nous dans ce que nos amis de Cimes et Racines appelle la transition intérieure pour affronter courageusement les défis écologiques de demain.
Hélas, hélas, les Européens sont plus préoccupés par leur sécurité. Les statistiques le montrent. Ils voient des dangers dans les immigrés, dans la montée des islamistes en particulier, et puis plus récemment dans les Russes qui viendraient nous attaquer. Alors ils déploient des moyens colossaux au détriment des simples gens que nous sommes tous. Quel gâchis pour affronter des causes perdues ou des lubies qui n'ont aucun fondement réel !
« Le Messie qui doit venir nous enseignera et nous suivrons ses sentiers. Il sera juge des nations, l'arbitre de la multitude ders peuples. De leurs épées ils forgeront des socs de charrue, et de leurs lances, des faucilles. On ne lèvera plus l'épée nation contre nation, on ne s'entraînera plus pour la guerre. Venez, marchons à la lumière du Seigneur » (Isaïe 1, 3-5).
En ce jour-là, un rameau sortira de la souche de Jessé, père de David, un rejeton jaillira de ses racines. Sur lui reposera l'esprit du Seigneur : esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur - qui lui inspirera la crainte du Seigneur. Il ne jugera pas sur l'apparence ; il ne se prononcera pas sur des rumeurs. Il jugera les petits avec justice ; avec droiture, il se prononcera en faveur des humbles du pays. Du bâton de sa parole, il frappera le pays ; du souffle de ses lèvres, il fera mourir le méchant. La justice est la ceinture de ses hanches ; la fidélité est la ceinture de ses reins.
Le loup habitera avec l'agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l'ourse auront même pâture, leurs petits auront même gîte. Le lion, comme le b?uf, mangera du fourrage. Le nourrisson s'amusera sur le nid du cobra ; sur le trou de la vipère, l'enfant étendra la main. Il n'y aura plus de mal ni de corruption sur toute ma montagne sainte ; car la connaissance du Seigneur remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer.
Ce jour-là, la racine de Jessé sera dressée comme un étendard pour les peuples, les nations la chercheront, et la gloire sera sa demeure.
- Parole du Seigneur.
Is 11, 1-10
Dieu, donne au roi tes pouvoirs, à ce fils de roi ta justice. Qu'il gouverne ton peuple avec justice, qu'il fasse droit aux malheureux !
En ces jours-là, fleurira la justice, grande paix jusqu'à la fin des lunes ! Qu'il domine de la mer à la mer, et du Fleuve jusqu'au bout de la terre !
Il délivrera le pauvre qui appelle et le malheureux sans recours. Il aura souci du faible et du pauvre, du pauvre dont il sauve la vie.
Que son nom dure toujours ; sous le soleil, que subsiste son nom ! En lui, que soient bénies toutes les familles de la terre ; que tous les pays le disent bienheureux !
Ps 71 (72), 1-2, 7-8, 12-13, 17
Frères, tout ce qui a été écrit à l'avance dans les livres saints l'a été pour nous instruire, afin que, grâce à la persévérance et au réconfort des Écritures, nous ayons l'espérance. Que le Dieu de la persévérance et du réconfort vous donne d'être d'accord les uns avec les autres selon le Christ Jésus. Ainsi, d'un même c?ur, d'une seule voix, vous rendrez gloire à Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ.
Accueillez-vous donc les uns les autres, comme le Christ vous a accueillis pour la gloire de Dieu. Car je vous le déclare : le Christ s'est fait le serviteur des Juifs, en raison de la fidélité de Dieu, pour réaliser les promesses faites à nos pères ; quant aux nations, c'est en raison de sa miséricorde qu'elles rendent gloire à Dieu, comme le dit l'Écriture : C'est pourquoi je proclamerai ta louange parmi les nations, je chanterai ton nom.
- Parole du Seigneur.
Rm 15, 4-9
En ces jours-là, paraît Jean le Baptiste, qui proclame dans le désert de Judée : « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. » Jean est celui que désignait la parole prononcée par le prophète Isaïe : Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.
Lui, Jean, portait un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins ; il avait pour nourriture des sauterelles et du miel sauvage. Alors Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui, et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain en reconnaissant leurs péchés. Voyant beaucoup de pharisiens et de sadducéens se présenter à son baptême, il leur dit : « Engeance de vipères ! Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? Produisez donc un fruit digne de la conversion. N'allez pas dire en vous-mêmes : ?Nous avons Abraham pour père' ; car, je vous le dis : des pierres que voici, Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham. Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres : tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu.
Moi, je vous baptise dans l'eau, en vue de la conversion. Mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales. Lui vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu. Il tient dans sa main la pelle à vanner, il va nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera son grain dans le grenier ; quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s'éteint pas. »
- Acclamons la Parole de Dieu.
Mt 3, 1-12