Homélie du 25 fevrier 2018

Celui-ci est mon Fils bien-aimé

2ème Dimanche de Carême - Année B

Une homélie de fr. Pierre de Béthune

Nous vivons dans un monde où tant de puissants sont sans pitié : ? la vie des plus vulnérables n'a pas d'importance pour eux, pourvu qu'ils obtiennent leur objectif politique ou militaire, ? mais ils n'osent plus regarder le visage de leurs victimes. Nous sommes rassemblés ici pour faire mémoire de notre Seigneur qui nous invite précisément à regarder chacun de nos frère et soeurs avec respect et attention, en commençant cette célébration. Prions les uns pour les autres, pour que nous accueillions la grâce de cette eucharistie et pour qu'ensuite nous apportions autour de nous toujours plus d'humanité et d'amour. Prions, parce que nous ne réussirons pas facilement à être tout à fait conséquents avec nos convictions les plus sincères sans l'aide du Seigneur.

VOIR LA GLOIRE DU CHRIST2ème dimanche du Carême 2018

(Mc 9, 2-10)

La Transfiguration nous est racontée aujourd'hui pour nous encourager dans notre marche vers Pâques, pour que le rayonnement de ce mystère nous encourage dans notre existence parfois un peu terne. Mais je crois que ce moment lumineux de l'Évangile est surtout une invitation à voir à notre tour « la gloire de Dieu sur le visage du Christ » aujourd'hui. (Cfr. 2Co 4, 6)

Nous avons une belle icône de la Transfiguration. Elle nous invite à vivre en enfants de lumière. Elle révèle bien le rayonnement du Seigneur dans sa lumière pascale. Mais nous avons encore une autre icône dans notre chapelle, écrite par le même iconographe Giuseppe Papetti. Et sur cette image du Christ en croix il est écrit : 'Le Seigneur de la Gloire'. Le Père Jacques a en effet proposé à l'iconographe qui travaillait chez nous cette inscription, de préférence à celle qui est généralement écrite dans les représentations plus réalistes de la crucifixion, I.N.R.I. Iesus Nazarenus Rex Iudeorum. Cet autre titre qui est sur notre icône provient de l'épître aux Corinthiens (1 Co 2,8) « Si les princes de ce monde avaient connu la sagesse de Dieu, ils n'auraient pas crucifié le Seigneur de la Gloire » .

Alors nous pouvons nous poser la question : est-ce que nous connaissons' ne fût-ce qu'un peu de cette 'sagesse de Dieu ? Est-ce que nous sommes aussi capables de voir 'le Seigneur de la Gloire' sur l'icône de ce Jésus crucifié ?

Mes frères, mes soeurs, telle est bien la question que nous devons nous poser aujourd'hui. Quelle est cette gloire, et comment pouvons-nous la contempler ?

Parce qu'il ne nous est pas donné souvent de contempler le Christ en majesté, comme à Pierre, Jacques et Jean sur le Thabor. Mais pour répondre à cette question nous avons la suite de l'évangile d'aujourd'hui, car elle nous introduit plus avant dans le mystère de Jésus. Après avoir entendu la voix du Père qui invitait les disciples à écouter le Fils bien-aimé, « soudain, regardant tout autour, il ne virent plus que Jésus seul avec eux » . On pourrait entendre cela comme une expression de désenchantement, de déceptions : la vision merveilleuse s'est évanouie. Mais en réalité ce n'est pas triste, parce qu'avec Jésus, nous avons tout. Nous n'avons pas tellement besoin de visions. Je crois qu'aujourd'hui nous sommes vraiment appelés à compter sur cette présence discrète et intense de 'Jésus seul', sans tous les titres qu'on lui a donné par la suite.

Jésus-seul-avec-nous.

Jésus seul suffit.

Regardons donc encore le visage du Christ que représente l'icône de la croix : cette image exprime bien le mystère de Jésus, abandonné de tous, seul, livré aux mains des pécheurs, mais entré librement dans sa passion : il rayonne la paix, la bienveillance, tout ce qui fait la vraie gloire de Dieu. Et ses bras sont ouverts pour accueillir tous les humains qu'il aime. Je crois que nous devons commencer par regarder ainsi Jésus, tel que les évangélistes nous le dépeignent : Jésus « avec nous dans nos épreuves » (Ps 90) : pas tellement ses miracles, ni même ses paroles, si merveilleuses soient-elles : -- les seuls ne nous suffisent pas, -- , mais sa façon de nous révéler le Père, presque à son insu, par sa seule manière d'être 'avec nous', quand il rencontre et accueille ses frères et soeurs, quand il les regarde longuement et les aime. En fréquentant assidûment les évangiles, nous pouvons reconnaître sa vraie gloire, non pas une gloire baroque, comme surajoutée, toujours un peu dérisoire, comme certains peintres ont cru devoir la représenter, mais ce que j'appellerais sa gloire fondamentale, constitutive. Dans la Bible, la 'gloire' signifie précisément le poids, l'intensité de la présence.

Saint Jean le Théologien exprime bien notre foi dans un résumé abrupt, à la première page de son évangile : « Le Verbe s'est fait chair et nous avons vu sa gloire » . Sa-gloire-dans-la-chair. Ce n'est pas dans une vision, mais dans sa vie concrète avec nous, homme parmi les hommes, que nous pouvons voir sa gloire. N'est-ce pas là le coeur de notre foi ? Pouvoir dire en vérité, inspirés par l'Esprit : « Jésus est Seigneur » . Jésus de Nazareth est 'le Seigneur de la gloire'. Et « Avec lui nous avons tout reçu, et grâce sur grâce. »

Et cependant il ne suffit pas de discerner la vraie gloire de Jésus, notre Seigneur. Nous sommes aussi appelés à voir, « la gloire de Dieu dans l'homme vivant » , -- dans tout homme. (Pour reprendre l'intuition de saint Irénée de Lyon).

Car il nous faut maintenant faire un pas de plus : les mystères de Jésus ne sont pas uniquement à contempler ; nous devons y participer, les revivre à notre tour, -- à notre mesure. La question précise que l'évangile nous pose est donc : pouvez-vous discerner aujourd'hui la gloire de Dieu dans la personne de Jésus, quand il vient à vous sous les traits du dernier de ses frères et soeurs ?

Cela s'apprend. Pour apprendre à regarder comme Jésus, il faut nous mettre à son école et voir comment il faisait, par exemple sa façon de regarder Zachée perché sur son sycomore : en discernant en ce fonctionnaire pas très scrupuleux un homme qui cherchait Dieu, il lui a permis de se révéler un hôte généreux, et le salut est venu sur sa maison. Il y a tant d'autres épisodes dans les évangiles qui nous décrivent la façon qu'avait Jésus de regarder les hommes et les femmes qu'il rencontrait, sa façon d'ainsi les libérer du poids de leur destin, et de leur révéler leur noblesse fondamentale.

Dans le récit parallèle que saint Luc donne de la Transfiguration, il précise que cet épisode s'est passé tandis qu'ils priaient. De fait, c'est dans la prière qu'une transfiguration est possible. La prière est même indispensable pour que notre regard puisse à son tour discerner en tout humain cette gloire, cette beauté, souvent cachée. Il nous faut beaucoup prier pour pouvoir porter sur les autres un regard qui libère le meilleur en eux et qui les révèle à eux-mêmes.

Cette démarche de transfiguration est en effet une démarche de foi, car il s'agit de voir en nos soeurs et nos frères l'essentiel qui est invisible aux yeux, de leur révéler ce qui en eux les dépasse infiniment et les rend uniques. Il dépend de nous, pour une part importante, que les personnes que nous rencontrons, ou avec lesquelles nous vivons, découvrent ainsi ce qu'elles sont vraiment. Il y a un regard qui fige notre interlocuteur et l'oblige à jouer un rôle, mais, quand, en l'abordant, nous offrons une paix et une bienveillance, puisées dans celles de notre Père céleste, nous constatons souvent que notre interlocuteur en est comme renouvelé, illuminé. Il s'agit d'une toute petite transfiguration, certes, mais nous pouvons y contribuer.

Il y a d'ailleurs toujours une réciprocité dans cette démarche. Nous ne pouvons contribuer à éveiller une lumière chez les autres que parce que nous nous sommes préalablement laissés transformer par une lumière qui nous a été donnée. Et alors, comme le Christ nous le rappelle : « votre lumière doit briller aux yeux des hommes... » car « à présent vous êtes lumière dans le Seigneur » .

En contemplant encore une fois l'icône de la Transfiguration nous pouvons donc y voir tout un programme. Elle ne décrit pas qu'un évènement ponctuel du passé ou encore un mystère hors du temps ; elle nous invite à découvrir la gloire, c'est-à-dire la présence intime et intense du Christ, en nos frères et soeurs, pour vivre et réaliser avec eux chaque jour comme une nouvelle Transfiguration.

 

Le sacrifice de notre père Abraham

En ces jours-là, Dieu mit Abraham à l'épreuve. Il lui dit : « Abraham ! » Celui-ci répondit : « Me voici ! » Dieu dit : « Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et là tu l'offriras en holocauste sur la montagne que je t'indiquerai. » Ils arrivèrent à l'endroit que Dieu avait indiqué. Abraham y bâtit l'autel et disposa le bois ; puis il lia son fils Isaac et le mit sur l'autel, par-dessus le bois. Abraham étendit la main et saisit le couteau pour immoler son fils. Mais l'ange du Seigneur l'appela du haut du ciel et dit : « Abraham ! Abraham ! » Il répondit : « Me voici ! » L'ange lui dit : « Ne porte pas la main sur le garçon ! Ne lui fais aucun mal ! Je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m'as pas refusé ton fils, ton unique. » Abraham leva les yeux et vit un bélier retenu par les cornes dans un buisson. Il alla prendre le bélier et l'offrit en holocauste à la place de son fils.

Du ciel, l'ange du Seigneur appela une seconde fois Abraham. Il déclara : « Je le jure par moi-même, oracle du Seigneur : parce que tu as fait cela, parce que tu ne m'as pas refusé ton fils, ton unique, je te comblerai de bénédictions, je rendrai ta descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, et ta descendance occupera les places fortes de ses ennemis. Puisque tu as écouté ma voix, toutes les nations de la terre s'adresseront l'une à l'autre la bénédiction par le nom de ta descendance. »

- Parole du Seigneur.

Gn 22, 1-2.9-13.15-18

Je crois, et je parlerai, moi qui ai beaucoup souffert. Il en coûte au Seigneur de voir mourir les siens !

Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur, moi, dont tu brisas les chaînes ? Je t'offrirai le sacrifice d'action de grâce, j'invoquerai le nom du Seigneur.

Je tiendrai mes promesses au Seigneur, oui, devant tout son peuple, à l'entrée de la maison du Seigneur, au milieu de Jérusalem !

115 (116b), 10.15, 16ac-17, 18-19

Dieu n'a pas épargné son propre Fils

Frères, si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Il n'a pas épargné son propre Fils, mais il l'a livré pour nous tous : comment pourrait-il, avec lui, ne pas nous donner tout ? Qui accusera ceux que Dieu a choisis ? Dieu est celui qui rend juste : alors, qui pourra condamner ? Le Christ Jésus est mort ; bien plus, il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, il intercède pour nous.

- Parole du Seigneur.

Rm 8, 31b-34

Celui-ci est mon Fils bien-aimé

En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmena, eux seuls, à l'écart sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux. Ses vêtements devinrent resplendissants, d'une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille. Élie leur apparut avec Moïse, et tous deux s'entretenaient avec Jésus. Pierre alors prend la parole et dit à Jésus : « Rabbi, il est bon que nous soyons ici ! Dressons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » De fait, Pierre ne savait que dire, tant leur frayeur était grande. Survint une nuée qui les couvrit de son ombre, et de la nuée une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! » Soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus seul avec eux.

Ils descendirent de la montagne, et Jésus leur ordonna de ne raconter à personne ce qu'ils avaient vu, avant que le Fils de l'homme soit ressuscité d'entre les morts. Et ils restèrent fermement attachés à cette parole, tout en se demandant entre eux ce que voulait dire : « ressusciter d'entre les morts ».

- Acclamons la Parole de Dieu.

Mc 9, 2-10